À la recherche du temps perdu par Flubuh
"Longtemps, je me suis couché de bonne heure. Parfois, à peine ma bougie éteinte, mes yeux se fermaient si vite que je n’avais pas le temps de me dire : « Je m’endors. » Et, une demi-heure après, la pensée qu’il était temps de chercher le sommeil m’éveillait..." Nous voici pris dans une sorte de léthargie, dans une transe poétique... qui ne nous laisse pas supposer la cruauté des lignes qui pourront suivre (le petit clan des Verdurin...), puis des portraits de ville d'un Proust soudain géographe, puis des considérations étymologiques, des réflexions sur l'art (la musique - études de morceaux imaginaires, la peinture - de tableaux imaginaires), des souvenirs d'enfance, du portrait d'une société "fin de siècle"... La Recherche (comme affectent de l'appeler, avec un rien de pédanterie, ceux qui l'ont lu jusqu'au bout) est un livre complet.
Car Proust est protéiforme : il se fait snob pour dénoncer le snobisme, l'enfant craintif se révèle froid et calculateur, l'observateur amusé devient amoureux transi, devient geôlier. Insaisissable, il nous peint affectueusement telle charmante vieille dame - la grand mère du narrateur par exemple (qui ne s'appelle pas Marcel ! on insiste sur ce point) pour mieux faire ressortir ses défauts. Une princesse froide et distante fera une amie, puis l'on sentira poindre un peu de dédain. Ou encore, le parcours d'un Charlus, d'un Saint-Loup ou bien sûr d'un Swann sont autant de trajectoire paraboliques, vers un zénith, vers un nadir. Mais on sent qu'en réalité, si le narrateur n'est pas l'auteur, ce sont tous ses personnages qui sont des reflets de celui-ci. Les questions de sexualité sont constantes, ce que le narrateur nous dit, où il nous ment, l'homosexualité est omniprésente.
Dans ce dédale, toujours fascinant, Proust ne perd pas son lecteur et montre sa maîtrise de son œuvre colossale, par exemple en préfigurant le nom d'Albertine dans la signature de Gilberte Swann, puis en utilisant ce détail qu'il n'a pas oublié (et - à ma grande surprise - moi non plus) presque à la fin de l’œuvre.
Si au moment de La Prisonnière, on a pu sentir le poids du livre se faire plus lourd - fatigue du lecteur ? partie trop oppressante peut-être ? - une chute de cheval nous délivre cyniquement et tout repart de plus belle. La fin du livre est abrupte : le narrateur est soudain vieux, on sent qu'il manque des épisodes, que l'histoire n'était pas terminée. Il est clair qu'il n'était pas vraiment prévu de mettre un jour le mot "fin" sur ce roman - et c'est volontiers que l'on aurait suivi le narrateur dans la poursuite de son souvenir, pour retrouver avec lui le temps perdu.
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