De jeunes fils de notables qui révisent le baccalauréat (nous sommes dans les années 1920, c'est le passeport pour la respectabilité), une rigide pension protestante dominée par le patriarche Vedel qui ne veut voir partout que la main de la Providence, de vénérables familles bourgeoises à Paris, aux enfants avocats, docteurs, pleins de promesses, dont les maris sont procureurs, juges d'instructions, le mariage, le dévouement altruiste... Voici des valeurs - et qu'est-ce que la monnaie sinon l'expression d'une valeur ? Si les faux-monnayeurs proprement dits n'occupent qu'un bref passage du roman, c'est tout le livre qui s'applique à montrer à quel point le reste est faux aussi.

Le mariage n'est qu'un lente décristallisation des sentiments qui conduit à la haine pure (quand il n'est pas rompu dès les premiers mois). Le pasteur si actif et dévoué, a des aventures, et sa fille, la discrète Rachel, qui fait tant pour la pension, ne suscite qu'un vague mépris. C'est elle qui incarne l'altruisme, le dévouement, l'abnégation.
L'écrivain aristocratique, brillant causeur, se révèle bien vite creux et n'est manipulateur que par vacuité. Enfin, les enfants sont ce qu'il y a de moins innocent qu'on puisse imaginer. C'est par eux, au diapason de la décrépitude générale (Gide l'immoraliste est bien un moraliste), qu'arrive le scandale : prostitution, fausse-monnaie, tragédie. Ils ne sont pas pires que leurs aînés, non, mais ils ne savent pas dissimuler aussi bien qu'eux.
Car entre les apparences de respectabilité et ce qu'est la réalité, dominée par l'inconscient aux pulsions mal réprimées, il y a un tel gouffre qu'il faut ruser pour maintenir la fiction. Ainsi, Pauline Molinier se fait-elle la complice de son mari - à son insu - pour qu'il puisse la tromper, elle ne peut qu'approuver la liaison entre Édouard et son fils Olivier, qui lui épargne la chute... tant que tout cela reste discret.
La narration est faite de récit et de dialogues, mais aussi d'extraits de journaux, de lettres, d'adresses au lecteur. Elle s'attache au conscient à à l'inconscient des personnages, proposant souvent des regards croisés sur les protagonistes d'un même dialogue. Faux-monnayage aussi que la rencontre, tant attendue, celle que l'espérance à vidé de sa valeur : ainsi, quand Édouard et Olivier se retrouvent enfin, après une longue attente, leur dialogue sonne faux, ils le savent et se quittent désolés. Ainsi le vieux de la Pérouse rate-t-il ses rendez-vous, avec son petit-fils Boris, avec la mort. La solitude de chacun est omniprésente et même en présence des autres, on ne rencontre que soit-même.

Dans ce monde de mensonge et de faux-semblant, où le diable agit lui-même en la personne de Strouvilhou (le faux-monnayeur éponyme) et de son cousin Ghéridanisol (sorte de Méphistophélès des enfants), la révolte même est inutile : Bernard Profitendieu, apprenant qu'il n'est pas le fils de son père, croit se révolter en quittant brusquement le foyer familial et en se rêvant aventurier sans scrupules... Il ne parvient qu'à se ranger au plus vite dans un nouveau conformisme.
Même l'art est impuissant à déchirer le voile, les artistes, les écrivains eux-mêmes tentent de créer des psychologies qui ne sont que des reflets de la leur. Certains s'en préoccupent peu (des faux-monnayeurs encore), cette constatation en paralyse d'autres. Ainsi, le talentueux Bernard se refuse-t-il à écrire. Ainsi, l'écrivain Édouard ne parvient-il pas à débuter son roman, dont le titre même lui déplaît. Quelle idée aussi d'avoir annoncé à l'avance qu'il travaillait sur un roman intitulé "les Faux-Monnayeurs" ?
Flubuh
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le 25 juil. 2014

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