Ce très beau livre de Christopher Hill -éminent spécialiste de la Révolution anglaise - brosse un tableau aussi large que possible des mouvements radicaux qui se sont épanouis en Angleterre entre 1641 et 1660 - pour faire large.
Il s'agit évidemment de tenter de comprendre ces radicaux, et pour cela de les situer géographiquement - pas qu'à Londres, dans les zones à la marge, les forêts, au Nord et à l'Ouest - socialement - parmi surtout ces terrifiants hommes "sans maître", marchands itinérants, prédicateurs, vagabonds, amateurs de tavernes et de tabac, et les hommes de la New Model Army, brièvement maître des destinés de l'Angleterre avant que leurs officiers ne parviennent à la maîtriser - et enfin historiquement : si cette explosion soudaine de liberté de mouvement, de penser et d'écrire est quasiment unique dans l'histoire anglaise, ces radicaux puisent dans des traditions bien vivaces.
D'abord, dans un anti-cléricalisme tenace, qui précède sans doute la Réforme, mais que celle-ci autorise bien au-delà de ce qu'en espérait ses instigateurs, tout comme de la haine du Roi à la haine de la gentry, le pas était trop vite franchi au goût de certains.
Et puis, des traditions religieuses marginales : les Lollards, héritiers de Wyclif, jamais éliminés depuis 3 siècles, et les différents famillismes. L'idée du paradis ici sur terre ou en nous, héritiers du Christ, associée à un millénarisme survolté par la tension sociale ne pouvait guère rassurer les propriétaires et les ecclésiastiques, et ils les ont d'ailleurs combattu de toutes leurs forces.
Au delà de cette œuvre d'historien, passionnante -ne serait-ce que parce qu'elle remet en jeu la relation entre radicalité, religiosité et matérialisme, et montre la force du message christique, même si l'athéisme n'est absent de ce livre- Christopher Hill refait vivre et donne véritablement la parole à ces qui ont failli compté : Diggers ou True Levellers, Ranters et premiers Quakers, ces oubliés que sont Samuel Fisher, John Warr, James Nayler, William Erbery et tant d'autres - mon préféré reste évidemment Gérrard Winstanley - sans compter une foule d'anonymes dont les paroles ont été rapportées,voire publiées (l'auteur du Tyranipocrit Discovered devait être un chouette type). Il faut saluer cette vraie tentative de faire revivre tout un courant de pensée radicale, avec ses anticipations étonnantes et ses faiblesses, ses rêves et ses espoirs déçus.
Un appendice intéressant tente de montrer de ses idées sur les figures moins méconnues que sont Hobbes, Milton et Bunyan.
Le livre requiert en revanche un bon niveau d'anglais, de solides connaissances sur la Révolution Anglaise (les protagonistes et événements sont considérés connus dans le détail)... ou la patience de faire nombre de recherches pour compléter sa lecture.
Concluons comme Hill l'a si bien fait :
"Talking and writing books, Winstanley insisted, is 'all noting and must die, for action is the life of all, and if thou dost not act, thou dost nothing."