Peut-on aimer jusqu’à en mourir? Savante question qui à mon sens n’avait pu être satisfaite par aucun livre. Jusqu’à ce qu’un romancier raconte «Une certaine fatigue»…
Sous ce beau titre fleurant la désillusion, voire le désarroi, se dissimule une comédie de mœurs des plus réussies. Christian AUTHIER arbore sous sa propre signature un récit d’une incroyable beauté; il y utilise une écriture reconnaissable, presque clinique, dont la mesure se situe entre Dubillard pour le ton, et Becket pour la morale. C’est dire son importance. Croyez-moi, rien n’est exagéré car dans le fond peu de proses saisissent l’air du temps aussi bien que les siennes, et peu le font avec autant d’humour blessé.
Cette fois, l’argument romanesque flirte avec l’absurde: un quadra, heureux en ménage et pas malheureux dans l’exercice de son métier, perd son père, puis se découvre un mal incurable, lâche tout, y compris femme et enfants, et attend la mort dans une chambre d’hôtel. Sauf que le diagnostic se révélera inexact. Enfin, pas tout à fait, comme le lecteur, subjugué, finira par s’en apercevoir.
Reste que le romancier se garde des effets larmoyants, des nostalgies faciles. Son écriture devient aiguë, presque sarcastique, avec juste, quand il faut, un geste de tendresse. Mais jamais vis-à-vis d’une société qui lui déplaît souverainement et dont il se délecte à pointer les médiocrités. On nous opposera que ce quadragénaire n’est qu’une figure de papier, que l’auteur ne saurait lui ressembler. Est-ce la moitié d’un leurre? Certes, l’un et l’autre ne sortent pas du même moule mais comment croire à la pure fiction lorsque le supposé agonisant avoue être «un anarchiste traversant dans les clous»?
De même, quand AUTHIER dépeint Marie, l’épouse du héros, comment ne pas reconnaître sa propre attirance pour les amours uniques («Marie me fit l’impression d’une orpheline découvrant le bonheur simple d’aimer et d’être aimée»)?
Gageons qu’«Une certaine fatigue» puisse captiver les rêveurs de tous bords, ceux dont la vie ne saurait se confondre avec un cauchemar climatisé. Il n’y pas loin…
Tempuslegendae
9
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur.

Créée

le 9 nov. 2013

Critique lue 258 fois

3 j'aime

1 commentaire

Tempuslegendae

Écrit par

Critique lue 258 fois

3
1

Du même critique

Calligrammes
Tempuslegendae
10

Critique de Calligrammes par Tempuslegendae

APOLLINAIRE est-il ce poète démarqué dont bon nombre de personnes ont parfois du mal à saisir l’essence de ses textes? Ce n’est pas dans le lourd héritage du fatras symbolique, fût-il déplacé par le...

le 8 oct. 2013

5 j'aime

Une certaine fatigue
Tempuslegendae
9

Critique de Une certaine fatigue par Tempuslegendae

Peut-on aimer jusqu’à en mourir? Savante question qui à mon sens n’avait pu être satisfaite par aucun livre. Jusqu’à ce qu’un romancier raconte «Une certaine fatigue»… Sous ce beau titre fleurant la...

le 9 nov. 2013

3 j'aime

1

Lettres retrouvées
Tempuslegendae
9

Critique de Lettres retrouvées par Tempuslegendae

Emporté par une fièvre typhoïde, Raymond Radiguet s’est éteint à l’âge de 20 ans, un matin de vendémiaire 1923. Le fidèle pygmalion Jean Cocteau, terrassé par le chagrin, ne put assister à ses...

le 31 oct. 2013

3 j'aime