Calligrammes par Tempuslegendae
APOLLINAIRE est-il ce poète démarqué dont bon nombre de personnes ont parfois du mal à saisir l’essence de ses textes? Ce n’est pas dans le lourd héritage du fatras symbolique, fût-il déplacé par le goût baroque de l’insolite, l’hostilité à la mère et le complexe de castration, que se trouve le meilleur d’Apollinaire. On doit le dire, ce que des millions de lecteurs, amateur de sa poésie, ont apprécié chez lui, c’est la simplicité des émotions, la nudité du lyrisme élégiaque, la sienne, unique, un sens savant du murmure plaintif, du soupir enfantin et du dépouillement essentiel, qui le rattache de façon subtile aux lais des confidences de Verlaine et aux naïvetés de la chanson populaire. Á jamais, et je le crie haut pour que chacun l’entende, APOLLINAIRE restera celui qui a donné au pleur du cœur dolent une expression à la fois moderne et sans âge. Certes, pour l’amour de sa poésie, nous sommes prêts à croire traîtresses toutes les femmes et destructeurs tous les ennemis (à ce dernier propos, je sens bien que je vais m’en attirer beaucoup, des ennemi(e)s, à les traiter ainsi).
«Le chant d’amour,
Voici de quoi est fait le chant symphonique de l’amour
Il y a le chant de l’amour de jadis
Le bruit des baisers éperdus des amants illustres
Les cris d’amour des mortelles violées par les dieux
Les virilités des héros fabuleux érigées comme des pièces contre avions
Le hurlement précieux de Jason
Le chant mortel du cygne
Et l’hymne victorieux que les premiers rayons de soleil ont fait chanter à Memnon l’immobile
Il y a le cri des sabines au moment de l’enlèvement
Il y a aussi le cri d’amour des félins dans les jongles
La rumeur sourde des sèves montant dans les plantes tropicales
Le tonnerre des artilleries qui accomplissent le terrible amour des peuples
Les vagues de la mer où nait la vie et la beauté
Il y a le chant de tout l’amour du monde.»
(sans ponctuation, tout est écrit avec passion)
J’en avais déjà fait l’allusion, je le répète ici, APOLLINAIRE a toujours assumé son goût pour le langage cru (je n’ai pas dit vulgaire), la littérature libertine et, reconnaissons-le une fois pour toutes, une certaine façade de virilité fanfaronne sur quoi se fondent bien des complicités masculines dont il est inutile de nommer ici. Si ses recueils de poèmes maudits trahissent leur auteur, c’est plus, par l’amour des mots, le brio du style et de la narration que par la perversité des épisodes.
Le poète a voulu chanter l’héroïsme de son siècle. Certes, il a cherché une certaine universalité épique orientée vers l’avenir; mais, ce fut sa grandeur et son échec.
APOLLINAIRE est un de ceux qui m’ont fait aimer la poésie.