Lettres retrouvées par Tempuslegendae
Emporté par une fièvre typhoïde, Raymond Radiguet s’est éteint à l’âge de 20 ans, un matin de vendémiaire 1923. Le fidèle pygmalion Jean Cocteau, terrassé par le chagrin, ne put assister à ses obsèques. En guise d’épitaphe, il lui écrira ceci: «J’avais tout de suite vu que Radiguet était prêté et qu’il fallait le rendre.»
Au Père-Lachaise, ce jour-là, il y avait beaucoup de monde, la famille devant bien sûr, mais aussi le Tout-Paris intellectuel et chic: Tzara, Picasso, Gaston Gallimard, Bernard Grasset, Gabrielle Chanel, Lucien Daudet et tant d’autres. L’auteur du sulfureux «Diable au corps» et de l’inégalable «Bal du comte d’Orgel» avait su conquérir tous ceux qui l’avaient rencontré. Le «bouvillon de l’entresol» du fol de Montparnasse brillait aussi dans les salons aristocratiques et les ateliers d’artiste.
Disons que sa carrière météorite a façonné une légende mais aussi des malentendus. Loin d’une imagerie éculée, Chloé RADIGUET, sa nièce, et Julien CENDRE, tous deux spécialistes de l’écrivain, ont voulu donner une image à la fois fidèle et complexe de l’homme. La publication de sa correspondance (environ 140 missives, la plupart inédites, écrites entre janvier 1918 et octobre 1923) et de ses œuvres complètes révèle au public des aspects insoupçonnés de sa personnalité et la diversité de ses talents. On le découvre tantôt dessinateur, journaliste, essayiste, poète, auteur de livrets d’opéra. Bref, homme à tout faire. Une curiosité insatiable devant l’inéprouvé: il se hâtait comme celui qui se sait condamné. «Il comprit et lit en quelques années ce qui, d’habitude, réclame toute une vie.»
Voilà ce qui émerveille et fascine. Tout d’abord, cette lucidité à l’égard de lui-même: «Ces prodiges prématurés d’esprit qui deviennent au bout de quelques années des prodiges de bêtises.» Et l’impassibilité, matinée de dérision, devant la notoriété: «On pourra objecter que tout succès, envisagé d’une certaine façon, est de mauvais aloi» (comme d’ailleurs de tout insuccès, cela va sans dire). Une clairvoyance aiguë sur son art et ses contemporains: «En une époque d’extrême complication, comme la nôtre, écrire comme tout le monde, comme chacun s’efforce d’écrire comme personne, est considéré comme une insolence.»
Ce sale gosse ne semble craindre personne, ni ceux qu’il appelle «maître» (allusion faite à Apollinaire, Aragon, Cocteau), ni ses illustres prédécesseurs: Hugo et Vigny.
Comment ne pas être étonné également de sa sagacité presque adolescente lorsqu’il évoque les frontières mal définies parce que non justifiables entre réalité et fiction («Le roman exigeant un relief qui se trouve rarement dans la vie, il est naturel que ce soit justement une fausse autobiographie qui semble la plus vraie»), ou lorsqu’il fait preuve d’une austérité morale (quasiment pascalienne): «C’est déprécier les choses et les méconnaître que de les vouloir autres qu’elles sont, même quand on les veut plus belles.»
Et, avec tout ça, une écriture économe, qui est le secret des plus grands. Décidément, tout est possible…