Standish vit dans une nation coupée du reste du monde, une nation en guerre avec toutes les autres, et qui veut plus que tout leur imposer sa suprématie. Cela ne vous rappelle rien ? Car loin des univers post-apocalyptiques etc. qu'on voit d'habitude, ce roman nous offre une vision de la dystopie qui m'a fait penser à l'Union Soviétique et qui l'a ancré dans une réalité plus proche. La couleur rouge y est omniprésente comme pour nous rappeler L'URSS encore davantage.
D'ailleurs, cette nation ne veut-elle pas prouver sa suprématie en effectuant un premier alunissage ? La "guerre des étoiles" avait elle aussi fait rage durant la fameuse Guerre Froide qui voyait s'affronter la puissance russe et la puissance occidentale. (Je suis moi-même surprise d'avoir si bien gardé en mémoire mes cours de terminale, durant lesquels je passais pourtant mon temps à chanter "Nucléaire" des Fatals Picards avec une copine chaque fois que la prof prononçait le mot... donc souvent). Et dans tout ça, le jeune garçon ne va pas se contenter de survivre, il va vouloir changer les choses, d'abord par l'imagination, cette fameuse planète dans sa tête, avec l'aide de son meilleur ami, Hector. Puis, quand Hector va disparaître avec ses parents, Standish va passer à l'action.
Un beau roman, pas trop long, voire un peu trop court. Le style est agréable, sans être sensationnel, j'ai vraiment apprécié la manière dont c'était écrit ; de belles tournures, mélangées au vocabulaire maladroit du héros dyslexique. Le massacre du Petit Eric m'a particulièrement choquée, c'est une scène terrible quoique bien racontée. C'est là tout l'art d'être auteur.
Les personnages sont très attachants. Le grand-père, dit Papou. Mlle Phillips, qui m'a tout de suite touchée. Et bien sûr Standish et Hector. Le premier fait figure de anti-héros à côté du second, qui est décrit comme "Beau, le dos droit, les cheveux blond foncé et les yeux verts". C'est lui le jeune héros dont les filles rêvent de tomber amoureuses. En plus d'être beau, il est rebelle, refuse de faire couper ses cheveux, et son insolence n'a d'égale que son intelligence. Mais on le retrouve faible et sans défense à la fin du roman. Malade. Mourant. Et c'est Standish, ce garçon dont on ne cesse de nous répéter qu'il n'est pas intelligent, qu'il ne sait ni nouer ses lacets, ni son noeud de cravate, qu'il ne sait ni lire ni écrire, qui rêve de planètes imaginaires et qui croit qu'il pourra les atteindre en empruntant une soucoupe volante faite de papier mâché. C'est lui, avec ses yeux vairons qui va révéler au monde "libre" qu'il vit dans une nation pervertie et faiblarde, qui ne sait que faire illusion. Comme toutes les tyrannies dont l'ordre apparent ne fait que cacher un désaccord profond entre le peuple et ceux qui le gouvernent.
L'amitié amoureuse des deux garçons est surprenante mais finalement si naturelle qu'elle s'intègre parfaitement dans la fluidité du texte. La fin est rapide, à la mesure de l'anxiété nerveuse du personnage, ce qui n'empêche pas à sa beauté et à sa tragédie de nous frapper de plein fouet. Pendant tout le roman, il loue l'intelligence des autres face à sa propre inintelligence. Je n'ai pas envie de dire "bêtise", ce n'est vraiment pas l'adjectif qui convient. Standish n'est pas bête, on ne lui a juste jamais rien appris. Et pourtant, il comprend tout. Il comprend ce qui se passe à l'intérieur de cet hideux palais où l'on cache la plus grosse supercherie de l'histoire de l'humanité avant même que l'on lui dise. Il comprend déjà quand Hector lui ment. Il comprend depuis le départ de ses parents. On est obligé de l'aimer, ce personnage.
C'est un beau roman qui fait réfléchir en plus d'être sensible, et qui nous apporte tout ce que l'on demande à un bon livre, nous fait respirer au rythme de ses personnages, nous emmène dans un autre monde, aussi terrible soit-il, nous fait "sentir" la vie. Cela me rappelle un passage de Fahrenheit 451, dans lequel Ray Bradbury explique ce qu'est un bon livre : "Pour moi, ça veut dire texture. Ce livre a des pores. Il a des traits. Vous pouvez le regarder au microscope. Sous le verre vous trouverez la vie en son infini foisonnement. Plus il y a de pores, plus il y a de détails directement empruntés à la vie par centimètre carré de papier, plus vous êtes dans la "littérature". C’est du moins ma définition. Donner des détails. Des détails pris sur le vif. Les bons écrivains touchent souvent la vie du doigt. Les médiocres ne font que l’effleurer. Les mauvais la violent et l’abandonnent aux mouches." Une Planète dans la tête a de la vie en lui.