Elisa Shua Dusapin ne s’embarrasse pas de formules entortillées lorsqu’elle portraiture le milieu circassien et les relations humaines qui s’y développent.
L’écrivaine franco-coréenne a en effet pour elle le sens de la concision : en quelque 170 pages aérées, dans un style direct et souvent nominal, elle raconte l’introduction d’une jeune costumière française de 22 ans, Nathalie, la narratrice, dans « l’enceinte désertée d’un cirque entre deux saisons ». L’essentiel du roman tient dans une double perspective, la description du cirque (ses odeurs, les attentes du public, ses répétitions, ses dispositifs réglés, son organisation de plus en plus complexe) mais surtout les liens qui se tissent entre l’héroïne et un trio s’entraînant à la barre russe, composé de deux hommes issus de générations différentes (Nino et Anton) et d’une jeune femme (Anna).


La barre russe, c’est une barre confectionnée de manière artisanale et mesurant environ trois mètres, placée sur les épaules de deux porteurs donnant les impulsions nécessaires à une acrobate afin qu’elle puisse effectuer des sauts périlleux proprement vertigineux. C’est un dépassement de soi, une chorégraphie millimétrée et un exercice supportant des risques potentiellement mortels.
Ces trois facettes du spectacle sont parfaitement explicitées par Elisa Shua Dusapin et comportent à elles seules un sous-texte justifiant la lecture de Vladivostok Circus. Pourquoi s’exposer physiquement pour une chose aussi insignifiante qu’un saut en hauteur ? Le public vient-il pour être ébloui ou, plus cyniquement, pour entrevoir chez les artistes une « faille » de nature à le rassurer ? Qu’est-ce que la préparation d’un festival ayant lieu en Sibérie peut nous apprendre sur des personnages dont les trajectoires ne sont que momentanément liées ?


Le manque d’épaisseur de Vladivostok Circus n’est qu’apparent. Car si le roman se lit bel et bien d’une traite, il peut se prévaloir d’une densité remarquable.
Ses protagonistes voient leur passé resurgir progressivement, avec son cortège de douleurs intériorisées, de doutes et d’espoirs déçus. Les considérations filiales et familiales apparaissent à intervalles réguliers, interrogeant les rapports entre Anton et Nino, mais aussi entre Nathalie et ses parents.
Dans ce microcosme coupé du monde, ce sont les interactions humaines qui vont prédominer et former les nœuds dramatiques du récit. La manière dont est ordonnée la relation entre Nathalie et Anna laisse par exemple la porte ouverte aux interprétations : la fascination, la nudité partagée, la succession des descriptions physiques, l’assurance de la narratrice quant à la beauté de l’acrobate, mêlées à son incapacité à s’épanouir avec son dernier compagnon, pourraient s’apparenter à du désir inavoué. Quant à Nino, il est celui qui donne à la narratrice – et aux lecteurs par son entremise – les principales clefs de décryptage d’une histoire où les traumatismes passés ne s’inscrivent pas seulement en pointillé…


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le 20 oct. 2020

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