Par-delà les Pyrénées, le rêve et l'aventure!

Entre mai et octobre 1840, Théophile Gautier parcourt l'Espagne en compagnie du collectionneur Eugène Piot. Au programme: le pays basque, Burgos, Valladolid, Madrid, Tolède, puis les grandes villes d’Andalousie avant un retour en France par Gibraltar et Barcelone. Ce voyage exotique, marqué par le courant orientaliste, donne lieu à des articles de presse bientôt rassemblés dans le recueil "Tra los Montes" (1843).


A cette époque, l’Espagne se relève difficilement de la guerre civile menée par les carlistes contre le gouvernement. Le pays est affaibli économiquement et politiquement; mais cela ne préoccupe guère le jeune journaliste en quête d’émotions esthétiques et d’aventure. Le clinquant des costumes populaires, le frisson des corridas, les curiosités locales, voilà ce que recherche Gautier en tant qu'écrivain et critique d'art. Débarqué en Espagne avec son bagage de préjugés romantiques, il découvre des contrées surprenantes où le pittoresque côtoie une certaine modernité. Modernité qu’il déplore d'ailleurs, car pour le poète elle est synonyme d’uniformisation du monde. « Quand tout sera pareil, les voyages deviendront complètement inutiles, et c’est précisément alors, heureuse coïncidence, que les chemins de fer seront en pleine activité. A quoi bon aller voir loin, à raison de dix lieux à l’heure, des rues de la Paix éclairées au gaz et garnies de bourgeois confortables? »


Sans négliger sa « mission de touriste descripteur », Gautier s’enflamme pour les splendeurs de la cathédrale de Burgos, la grandeur de l’Alhambra et la beauté piquante des Andalouses. Le prodigieux pouvoir d’évocation issu de sa plume nous transporte au cœur de paysages grandioses, depuis les Pyrénées jusqu'aux rives du Guadalquivir, en passant par les hauts plateaux de la Sierra Morena. Mais le lyrisme de certaines descriptions n’exclut nullement l’humour, très présent au fil des pages. Malgré des sursauts romantiques, Gautier aime à se présenter comme un simple voyageur confronté à des mésaventures cocasses. Auberges insalubres, brigandage, transports archaïques et chaleur « à faire cuire un œuf », il connaîtra toutes les incommodités du touriste ordinaire. « Ce qui constitue le plaisir du voyage, c’est l’obstacle, la fatigue, le péril même […] Un voyage en Espagne est encore une entreprise périlleuse et romanesque ; il faut payer de sa personne, avoir du courage, de la patience et de la force ; l'on risque sa peau à chaque pas; les privations de tous genres, l'absence des choses les plus indispensables à la vie, le danger de routes vraiment impraticables pour tout autre que des muletiers andalous, une chaleur infernale, un soleil à fendre le crâne, sont les moindres inconvénients ; vous avez en outre les factieux, les voleurs et les hôteliers, gens de sac et de corde, dont la probité se règle sur le nombre de carabines que vous portez avec vous. Le péril vous entoure, vous suit, vous devance ; vous n’entendez chuchoter autour de vous que des histoires terribles et mystérieuses. » Et c’est à ce prix que le jeune écrivain contemple les monuments baroques ou moresques, à ce prix qu'il s’initie aux mœurs locales – allant jusqu’à porter un costume de majo et à apprendre l’espagnol.


De ce long voyage en compagnie de Gautier, on ressort « éblouis, écrasés et soûls de chefs d’œuvres ». On comprend que cet ouvrage ait valu la célébrité à son auteur, car rien ne lui manque, ni la couleur locale, ni la poésie, ni les anecdotes amusantes. Pour moi c’est un incontournable de la littérature de voyage. Il m’a beaucoup appris sur les monuments et la société espagnole au XIXème siècle, mais c’est surtout une invitation à prendre la route avec le plus spirituel des compagnons. Gautier y affine son style, une écriture à la fois précieuse et visionnaire qu’on aura plaisir à retrouver dans ses récits de voyages ultérieurs, en Russie ou à Constantinople.

Bianca_Flo
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le 25 avr. 2015

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Bianca Flo

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