La concurrence des mémoires réveille ou enterre, au profit du présent, les drames enfouis à la surfa
Nous sommes deux pris au piège d’un dialogue qui n’en est pas un, pareils à deux échappés de la tour de Babel dont les discours suivent des droites parallèles qui jamais ne se rencontreront.
La concurrence des mémoires réveille ou enterre, au profit du présent, les drames enfouis à la surface des existences brisées. Minh Tran Huy / Line laisse son père ouvrir sa mémoire de sa vie au Vietnam depuis si longtemps fermée pour offrir aux siens de se construire en France loin des deuils et de la terreur, de se projeter dans l’avenir, à tout le moins s’accrocher au présent, avancer, un jour après l’autre, en évitant de se retourner sur les désastres traversés.
Les français ont si soigneusement refermé la porte sur l’empire d’orient oubliant leur défaite, la partition du pays en 54, les vingt années de guerre en ne conservant que le souvenir de l’entrée en guerre des USA jusqu’à la chute de Saigon 1975.
Et la quête des origines n’est-elle pas inhérente à la construction de l’identité ? Aussi comment l’oubli et ce squelette de vie pourrait-il suffire ? Naissance dans une ferme du Nord Vietnam, mort de son père et de son grand-père, installation en ville, à Thai Binh, puis à Hanoi et enfin Saïgon, études forcenées, émigration en France, rencontre de ma mère, décision de demeurer de ce côté du globe après la victoire des communistes : telle était le maigre squelette de sa vie d’avant que j’avais habillée comme je pouvais des anecdotes qu’il lui avait échappé, rassemblées dans un grand carnet à rabat rouge, lequel contenait encore une esquisse de chronologie, une arbre généalogique semé de points d’interrogation, ainsi qu’une série de questions – toutes celles qui m’étaient venues à l’esprit au fil des ans.
La délicatesse de Minh Tran Huy fait de ce livre une œuvre littéraire, loin, très loin, de ces livres de célébrités rentabilisant la moindre de leur petite peine pour rembourser leur psychiatre avec l’argent des voyeurs.
Voyez plutôt comment Minh Tran Huy décrit d’une seule phrase les camps, juste une, sans plus de fioriture, juste le poids des mots. On ne soignait personne dans les camps. Les gardiens regardaient les uns et les autres crever comme des insectes nuisibles, sans un geste, sans un mot.
Voyages dans des vies, dans des pays, dans des mémoires, Minh Tran Huy nous avait déjà offert la Double vie d’Anna Song, ce voyage troublant et envoutant à la frontière de la réalité et de l’imagination. Ce livre est une réussite pour qui aime à comprendre les autres par ce qu’ils ne montrent jamais.
Je ne t’ai pas révélé, par exemple, que mon ami qui aimait t’offrir des livres de musique, avait été dans une autre vie en général rêvant de renverser le régime qu’il jugeait corrompu, un leader charismatique ayant orchestré un coup d’état où il avait perdu, dans la même seconde, son frère et son meilleur ami, abattus dans la Jepp qui les menait au palais présidentiel.
Flammarion, 2014, 225 pages, un petit 18€ pour toujours découvrir soi par l’autre
Lectori salutem, Pikkendorff
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