Disclaimer 1 : je souhaite signaler que je connais l'auteur et que je lui ai relu son livre après publication
Disclaimer 2 : j'écoute l'OST de Shenmue pendant la rédaction de cette critique
Le titre de ma critique fait référence à une citation de Simon Jeffery, alors président de SEGA of America, lors de l'E3 2008. Cette déclaration fut corrigée par la suite mais elle illustre bien la "déchéance" de Suzuki-sensei et fit l'effet d'une bombe à l'époque dans le milieux des fans du créateur et même au-delà.
Car Yu Suzuki est un grand nom du jeu vidéo. Il a lui-même déclaré que si Miyamoto était considéré comme le père du jeu vidéo, alors il pouvait en être considéré comme la mère. Et il n'a pas tort quand on regarde son CV, son palmarès : Space Harrier, OutRun, After Burner, Virtua Racing, Virtua Fighter, Virtua Cop Ferrari F355 Challenge ou, évidemment, la saga Shenmue. Mais j'arrête ma liste à Shenmue (et la GDC a fait pareil) car, après 2001/2002, le maître n'a plus développé de jeux marquants.
Mais grâce à ce livre, vous saurez pourquoi !
En effet, Benjamin Berget raconte sur presque 500 pages toute la carrière professionnelle du grand Monsieur, de son entrée chez SEGA jusqu'au Kickstarter pour Shenmue III annoncé à l'E3 de 2015.
Vous y apprendrez comment il a créé les bornes d'arcade Taikan (ressenti, expérience en japonais) pour essayer de recréer le plus fidèlement les sensations ressenties par un pilote de moto, de voiture de course ou d'avion, comment il monte en grade au sein de SEGA et toutes les difficultés qu'il a connues après le rachat par Sammy.
Le livre passe en revue, chronologiquement, tous les jeux sur lesquels Yu Suzuki a travaillé. Le travail documentaire est impressionnant. Les références mentionnées sont nombreuses, le travail de recherche est impressionnant. Un vrai travail universitaire.
De plus, en lisant "Yu Suzuki - Le maître de SEGA", ce n'est pas uniquement le maître que vous suivrez. C'est toute l'entreprise SEGA, de sa création à aujourd'hui, que vous connaîtrez presque sur le bout des doigts tant il est inconcevable de séparer Suzuki-sensei de son employeur principal tout au long de sa vie professionnelle. En ce sens, le livre est effectivement très intéressant. Et c'est même l'histoire du secteur de l'arcade au Japon et un peu du jeu vidéo en général que vous pourrez apercevoir.
Mais c'est aussi un véritable travail universitaire dans le sens le plus littéral du terme : les citations sont omniprésentes. Benjamin insère des paragraphes entiers d'interviews ou d'articles à propos de Suzuki, Shenmue ou la Dreamcast, par exemple.
Cela rend la forme de l'ouvrage parfois impersonnelle. Parfois, je me suis demandé s'il n'aurait pas mieux fallu digérer les sources et que l'auteur retranscrive "à sa sauce" ce qu'il avait compris afin de pouvoir insérer, en filigrane, le contexte et les tenants et aboutissants tels que lui les avaient compris.
Le souci avec cette méthode est qu'elle peut engendrer des incompréhensions auprès de certaines personnes qui, dès lors, pourraient penser à une appropriation trop personnelle du travail d'autrui.
Ce qui me mène au deuxième point : les relations avec le principal intéressé.
Il y a certes une interview de Yû Suzuki à la fin de l'ouvrage mais elle ne fait que 8 pages. Certes, il n'est mentionné nulle part que c'est la biographie officielle du créateur de Shenmue, ni même que c'est une biographie mais, pendant une seconde, j'ai pensé aux méthodes de la biographie : parler pendant des jours ou des semaines avec la personne afin de tout connaître de sa vie professionnelle mais aussi personnelle.
Car là aussi, j'ai éprouvé un certain manque en l'absence de plus d'informations sur la vie du natif de Sonobe... euuuh de Kamaishi. En savoir plus sur sa vie et son caractère aurait pu apporter un autre éclairage sur les actions et les réactions de Yû Suzuki dans sa vie professionnelle et notamment, lors des coups durs.
Mais ne boudons pas notre plaisir.
C'est une mine d'informations, on y lira des tonnes d'anecdotes, on saura tout du développement des jeux du maître, du passage techniquement difficile à la 3D avec Lockheed Martin (rien que ça !), de l'apogée avec la Dreamcast et toutes les frasques qui ont mené à la création de YS Net, le "passage à vide" puis à nouveau l'espoir avec le financement de Shenmue III.