À feu et à sang
7.1
À feu et à sang

livre de Erin Hunter (2003)

Analyse psychologique de La Guerre des Clans, partie 2

Ce texte est la suite de l'analyse psychologique de La Guerre des Clans, dans laquelle j'explique la grande théorie des états d'esprit en prenant les romans pour illustration. Si cela vous intéresse, commencez par la partie 1, qui est écrite en critique du tome 1 de La Guerre des Clans (Retour à l'état sauvage). Vous pouvez la retrouver facilement dans une liste sur le sujet que j'ai créée sur mon profil et qui réunit toutes les parties de cette analyse.

Si ce que j'ai raconté dans la partie 1 n'est plus bien clair pour vous, voyez son résumé que j'ai écrit en toute fin de partie 1. Pour des questions de place, je ne vais pas en refaire un ici. Je partirai du principe que vous avez au moins ce résumé en tête.

Nous allons approfondir la compréhension de ce qu'est l'état d'esprit fixe à partir des précieux exemples disponibles dans La Guerre des Clans.

Étoile bleue, ou quand la hiérarchie ne fait plus sens

Nous avons dit dans la partie 1 que l'état d'esprit fixe tendait à justifier les hiérarchies (qu'elles soient officielles ou non). Ici, Étoile bleue est la cheffe du Clan du Tonnerre pendant la majorité du livre. Très respectée, elle sombre dans la dépression et la paranoïa après la trahison de son lieutenant. Cœur de Feu devient lieutenant à sa place et doit composer avec une cheffe qui ne sait plus guider son clan et qui prend des décisions absurdes, voire cruelles. Malgré le nombre et l'intensité des difficultés dans lesquelles elle le met lui et tout le clan, Cœur de Feu demeure fidèle à la hiérarchie et fait ce qu'il peut pour dissimuler les erreurs de sa cheffe aux yeux des autres. Personne ne songe que l'on pourrait simplement avouer qu’Étoile bleue n'est pas en état de diriger et qu'il faudrait la remplacer, au moins temporairement. Il faut qu'on croit toujours qu'elle est exceptionnelle, au sein de son clan et dans l'image qu'elle a auprès des autres. Après bien des déconvenues, Cœur de Feu ose confier un peu de son embarras à son amie guérisseuse. Ce à quoi elle répond à peu près que l'on doit le respect à Étoile bleue, parce qu'elle est cheffe et parce que c'est une grande cheffe.

Nous avons là quelque chose d’extrêmement figé et que l'on peut comprendre avec l'état d'esprit fixe. Dans ce système de pensée, la valeur d'un individu est fixe dans le temps. Soit Étoile bleue était une grande cheffe et donc elle l'est toujours, soit elle n'est pas une grande cheffe et elle ne l'a jamais été. Cette issue n'étant pas envisageable, puisque c'est le Clan des Étoiles qui choisit les chefs et que le Clan du Tonnerre tient à la fierté d'avoir un chef de renom, il ne reste que l'autre option. À aucun moment on ne se dit qu’Étoile bleue a été une grande cheffe, qu'elle le redeviendra peut-être, mais que dans le présent immédiat, elle ne l'est pas. De la même façon, si on a dans ses qualités celle de la loyauté, on ne saurait s'y soustraire à aucun moment et pour aucune raison. C'est évoqué dans un passage où Étoile bleue, prenant une énième mauvaise décision, envoie son clan en attaquer un autre sans raison valable. Une chatte ne veut pas entendre qu'on n'exécute pas cet ordre et son argument est que le code de conduite que tous suivent ne peut pas être modifié "quand ça nous arrange". Il est considéré juste de se fier aux décisions de son chef et on en conclut que c'est toujours le cas, même quand l'erreur est évidente.

D'un côté, l'état d'esprit fixe gène la pensée en nuances, elle tend à binariser les raisonnements. Étoile bleue est une grande cheffe ou ne l'est pas. On est chef (et donc légitime à diriger) ou on ne l'est pas. On est loyal envers son supérieur ou on ne l'est pas. On raisonne par catégorie nette, sans recoupement et sans mélange. De l'autre, ce qui est en partie une conséquence du premier point, l'état d'esprit fixe empêche de se focaliser sur les critères importants pour faire des choix. Pour comprendre cela, il faut parler des émotions de Cœur de Feu. Sa vie psychique est tout du long peuplée de réflexions autour de comment prouver qu'il est un chat à la hauteur, comment convaincre, comment parvenir à un but secret sans avertir personne, comment se rattraper après avoir fait une erreur... Tout est sans cesse à propos de ce que les membres du clan, surtout les plus influents, vont penser ou non de ce qu'il fait. Ce qui vient avec des émotions polarisées autour de la honte et de la fierté. Tout comportement traduisant que la cheffe ou un autre membre estimé valide ce qu'il fait apporte de la fierté. Être choisi pour accompagner la cheffe en réunion spéciale, se faire attribuer un apprenti, être félicité pour un exploit, etc. Dans l'autre sens, toute attitude de réprobation envers lui l'emplit de honte. Lorsqu'il est disputé par la cheffe, tourné en ridicule par un chat influent, pris à prendre une mauvaise décision... Cette si banale obsession pour la validation et la fuite de la réprobation, bien décrite dans les livres, elle occupe tant de place dans l'esprit qu'il n'en reste plus beaucoup pour s'intéresser à autre chose. Ainsi, à l'image de cette vie émotionnelle centrée autour de deux émotions fortes, la fierté et la honte, les discussions et réflexions dans La Guerre des Clans sont pauvres. La pensée est trop souvent limitée à des postures binaires, soit tout à fait positives, soit tout à fait négatives. Si l'autre est d'accord avec vous, il vous soutient pleinement et s'il n'apprécie pas ce que vous dîtes, il vous rejette sèchement. Étoile bleue en est l'exemple le plus net, alternant entre une attitude particulièrement valorisante envers Cœur de Feu et des moments où elle le blâme ou le chasse sans le moindre ménagement.

Lorsqu'on a l'habitude de réfléchir en valide ou invalide, émotion positive ou négative, adhésion ou rejet, tout questionnement qui demande de sortir de ces schémas est difficile d'accès. On voit ainsi que non seulement le clan ne développe aucune réponse intéressante à la paranoïa de sa cheffe et se borne à "la respecter" et cacher ses erreurs, mais qu'il ne construit pas non plus de solution à son mal-être. On se contente de lui donner des anti-douleurs, ce qu'on pourrait interpréter comme étant des anti-dépresseurs. On ne sait rien de plus que "il faut attendre et espérer". Ce qui, de façon tout à fait réaliste et c'est intéressant que le livre l'ait tourné ainsi, n'aide en rien et laissera Étoile bleue dans sa déchéance jusqu'à sa mort. On sauvera les meubles pour se rassurer à la fin, argumentant que sa dernière action était héroïque, ce qui permet de revenir au discours de la grande cheffe sans plus de questionnement.

C'est un des résultats les plus documentés à propos de l'état d'esprit fixe. Il rend fragile dans la difficulté. S'il motive souvent à faire semblant du contraire, il est un handicap pour faire face à l'adversité. La Guerre des Clans l'illustre très bien. L'obstination à vouloir conserver une perception valorisante d'un individu ou de soi-même conduit à ne rien faire pour comprendre et résoudre le problème. Car la reconnaissance même qu'il y a un problème nuirait à cette perception positive. L'état d'esprit fixe éloigne de la demande d'aide, parce qu'il rend intolérant à accepter sa propre faiblesse. Souvenez-nous que dans l'état d'esprit fixe, la valeur ne bouge pas. Si vous êtes une personne dotée d'une certaine qualité, vous plaçant dans une catégorie supérieure, ce n'est pas compatible avec un élément négatif comme la faiblesse ou le manque de lucidité. Si vous êtes fort-e de caractère, vous devriez toujours l'être. Si on reconnaît qu'à un moment vous êtes fragile, alors l'état d'esprit fixe dit que vous êtes en fait une personne fragile, que vous l'avez toujours été et que vous le resterez. Dans la vie c'est loin d'être aussi net que pour Étoile bleue, mais cette logique hante les esprits. N'avez-vous jamais dissimulé une faille, une erreur, par peur que l'on vous pense bête, faible ou autre qualificatif négatif ? C'est l'état d'esprit fixe qui essaie de vous dire que la priorité est de conserver sa place dans une catégorie valorisée. Pour lui, cela dépasse toute autre préoccupation, même si vous allez très mal ou même si au contraire votre erreur est banale.

Flocon de Neige, ou quand l'hostilité est la seule réponse à ce qui sort du cadre

Cœur de Feu fait adopter à son clan son neveu, Nuage puis Flocon de Neige, dont il devient l'instructeur lorsqu'il atteint l'âge de devenir apprenti. Pour Cœur de Feu, c'est un enjeu de fierté très important. Non seulement il s'agit d'un chat de naissance domestique, comme lui, ce qui est tout au long de la série une source de problèmes car des chats jugent les domestiques illégitimes à faire partie d'un clan. Mais c'est aussi un chat de sa famille. Cœur de Feu tient donc particulièrement à ce que Flocon de Neige soit reconnu comme un bon chat dans le Clan du Tonnerre. Et si l'on vante très tôt ses qualités exceptionnelles, à la chasse notamment, le jeune chat blanc se révèle aussi très indiscipliné. Questionnant les ordres, prenant des initiatives sans autorisation et parfois enfreignant le code de conduite du clan (comme ne pas manger avant d'avoir rapporté du gibier au groupe), il va jusqu'à critiquer la religion du Clan des Étoiles, la qualifiant par exemple d'histoires pour chatons.

Cœur de Feu éprouve beaucoup de honte vis-à-vis de la situation. De plus, il n'envisage pas un instant que son neveu puisse avoir raison ne serait-ce qu'un peu sur quoi que ce soit. Sa perception, c'est que Flocon de Neige n'écoute pas, ne comprend pas ce qui est juste et qu'il faut que ce soit corrigé. Pour répondre à la situation, l'état d'esprit fixe n'a rien à proposer. Parce qu'il n'est pas tourné vers la compréhension et la construction de solution, il ne sait pas quoi faire lorsqu'un individu cherche à changer les habitudes. Et que fait-on quand on n'a aucun raisonnement à proposer à un individu qui ne va pas dans le sens qu'on voudrait ? On use du pouvoir que l'on pense légitime du fait de notre appartenance à une catégorie supérieure et on se montre dur envers l'autre. De la même façon que l'état d'esprit fixe incite à penser qu'il est légitime de s'en prendre aux autres si on les estime idiots, il dit aussi que si l'autre n'a pas la bonne façon de penser au regard de nos critères, il est juste de lui être hostile. Il n'avait qu'à faire en sorte d'appartenir à la bonne catégorie. Dans la vie, cela peut se traduire par de nombreux comportements, de la simple pique au rabaissement, de la punition à la vengeance, du harcèlement à l'agression. Dans La Guerre des Clans, Cœur de Feu passe surtout par la punition et l'expression d'une colère désapprobatrice. Autrement dit, il dispute son neveu, lui donne des tâches supplémentaires et le contraint davantage. Ce faisant, il fait face à ce que plus ou moins toute la psychologie réunie sait déjà depuis un moment : ça ne marche pas. Contraintes et punitions dégradent les relations et les besoins psychologiques fondamentaux, détruisant la motivation et favorisant de nombreuses issues négatives, comme les comportements antisociaux, une faible estime de soi et la dépression. Le livre illustre très bien le genre de conséquences qu'a l'attitude contrôlante de Cœur de Feu : le jeune lui fait de moins en moins confiance et est donc de moins en moins intéressé à suivre ses ordres. Mais l'histoire étant clairement écrite par quelqu'un qui a une pensée très fixiste, elle donne bien sûr raison à Cœur de Feu, en faisant vivre un revers punitif à Flocon de Neige.

La façon avec laquelle ça arrive est intéressante. Flocon de Neige (Nuage de Neige à ce moment-là) prend l'habitude de se faire servir de la nourriture par des humains. Ce qui consterne Cœur de Feu. Un jour, les humains déménagent et mettent le chat blanc dans une boîte de transport pour l'emmener avec eux. Cœur de Feu voit la scène mais arrive trop tard pour aider son neveu. La suite m'a semblé très surprenante, quoique ne l'étant pas d'un point de vue psychologique : les chats au courant abandonnent très vite l'idée de porter secours à Flocon de Neige. On décide particulièrement vite qu'après tout c'est ainsi, qu'il n'était pas fait pour être un chat sauvage et qu'on n'y pouvait rien. Il n'y a pas la moindre tentative de le retrouver. On voit ici un autre grand classique de l'état d'esprit fixe : il favorise l'abandon (des objectifs). Comme il tend à faire voir la vie en bien ou mal, intelligent ou bête, etc, il n'est pas propice à la persistance dans la difficulté. Avec un état d'esprit fixe, on se dit rapidement que si on n'y arrive pas, c'est qu'on n'est pas fait pour cette tâche ou activité. Si quelque chose tourne mal, c'est que ça devait se passer ainsi, en tous cas il n'y a rien à faire. Ici, les chats ne voyant pas bien quoi faire pour récupérer Flocon de Neige n'explorent pas davantage et se contentent d'"accepter".

Plus tard dans l'histoire, on retrouve le chat blanc par hasard, ses humains ayant par miracle emménagés près du lieu de vie d'un ami sauvage de Cœur de Feu. On le secourt alors et le discours autour du chat qui n'était pas fait pour être sauvage disparaît comme si on n'en avait jamais parlé. Tout comme Étoile bleue est soit une grande cheffe soit une mauvaise cheffe, Flocon de Neige est soit fait pour la vie sauvage, soit pas. La différence notable étant qu'on soit véritablement passé de l'un à l'autre comme si c'était normal.

Diverses situations en tout ou rien surviennent au cours de l'histoire. La venue de Flocon de Neige en fait d'ailleurs partie. Cœur de Feu rend visite à sa sœur, chatte domestique, qui décide que l'un de ses chatons sera un chat sauvage. Le chat roux adhère immédiatement à l'idée et emmène son neveu au clan. Avec tout ce que l'on sait déjà sur la rigidité des règles du clan et l'importance de leur hiérarchie, on ne voit pas une seule seconde comment amener un chaton domestique sans avoir consulté personne pourrait être une bonne idée. Mais Cœur de Feu ne se pose aucunement la question, alors même que le chaton n'est pas sevré et va donc en plus devoir être confié à une chatte allaitante du clan.

C'est un paradoxe qu'on peut observer dans la vie. Plus l'état d'esprit gouverne la pensée, plus le raisonnement est fragile et conduit à des erreurs faciles à éviter. On pourrait dire que cette silencieuse obsession à se montrer intelligent rend les gens... moins intelligents. La pensée est plus rigide, moins créative, elle explore moins et est trop peu attentive à ce qui l'entoure. Ce qui peut donner des erreurs de ce genre, que ce soit des prises de décision précipitées, des postures simplistes ou des incohérences parfois absurdes comme la façon de penser Flocon de Neige comme naturellement fait pour la forêt ou pour la vie domestique selon le cours des évènements.

Quand tout est à propos de valeur

Que faire lorsqu'on a une idée à laquelle on tient et que les personnes considérées légitimes à en juger ne sont pas d'accord ou n'écoutent pas ? Cœur de Feu, surtout lorsqu'il est apprenti, a souvent à se poser cette question. Sa réponse, qui est réaliste par rapport à ce qui se passe dans la vie, c'est le mensonge et la dissimulation. Une bonne partie de sa vie de jeune chat consiste à prendre des décisions en douce et à chercher comment ne pas se faire prendre. Puis, avec le temps et les responsabilités augmentant, il ment souvent au nom de l'image du clan. Il ne répond presque jamais franchement aux questions que lui posent les chats des autres clans, souvent il n'est pas sincère non plus avec les chats de son propre clan desquels il n'est pas proche. Il étend sa logique à son cher ami Plume grise, pour qui il ment souvent également.

Je ne m'attarderai pas sur ce point, mais on peut souligner rapidement le manque de réflexion de Cœur de Feu vis-à-vis de cette habitude. Ce que je veux dire par là, c'est que s'il était lucide sur ce qu'il fait, il devrait nécessairement considérer que tous autres chats font de même et ainsi qu'on ne peut presque se fier à rien de ce qu'ils disent. Si on produit soi-même beaucoup de mensonges, on devrait envisager que les autres font de même et donc toujours chercher un sens caché derrière leurs paroles. Ce que Cœur de Feu ne fait pas. La faiblesse de son raisonnement, à cause d'un état d'esprit fixe très présent, le rend presque aveugle à ce genre de suppositions.

Cela dit, revenons au point important. Quel est le sens du mensonge dans l'état d'esprit fixe ? Souvenez-vous que sa priorité absolue est d'accéder ou de préserver sa position dans une ou plusieurs catégories valorisantes. Et dans l'état d'esprit fixe, les choses ne sont pas seulement noires ou blanches. Elles sont blanches tant qu'elles ne sont pas noires, mais pas l'inverse. Le blanc doit être immaculé pour être considéré comme blanc. Autrement dit, le moindre échec, la moindre erreur, la moindre faille, peut vous faire déchoir d'une catégorie valorisée. C'est un phénomène qu'on observe beaucoup en politique. Tout vaut mieux que d'avouer une erreur. Une multitude de stratégies est déployée à chaque prise de parole pour éviter absolument d'avoir à dire "désolé-e, j'ai raté" ou "je ne sais pas". C'est exacerbé dans ces contextes, mais c'est vrai partout dans la vie courante. C'est beaucoup plus facile d'utiliser un prétexte, de faire de l'humour, de détourner l'attention ou encore de se faire oublier que de dire honnêtement qu'on s'est trompé-e ou qu'on ne sait pas répondre. Sans "mais", sans dire ensuite que quelqu'un d'autre a fait pire, sans arrondir les angles pour que l'erreur ait moins l'air d'une erreur. La faute à l'omniprésence de l'état d'esprit fixe, qui déteste l'erreur, déteste l'échec, car pour lui ce n'est rien d'autre qu'un signe qu'on est bête, mauvais-e, incompétent-e, etc. Dans l'état d'esprit fixe, l'erreur est effrayante et vectrice de honte. Il vaut mieux se taire plutôt que de dire qu'on n'a pas compris. Il vaut mieux quelque chose qu'on maîtrise à une nouveauté qui pourrait nous mettre en échec. Ou bien il faut bien choisir avec qui on explore ou à qui on va raconter ce qu'on a essayé. Parfois, la réponse, c'est "personne", en tous cas aucune personne proche.

La quête du blanc immaculé est impossible à faire aboutir. Et c'est bien illustré dans La Guerre des Clans. Cœur de Feu profite à peine de la fierté qu'est censé lui procurer son ascension. Au contraire, plus il monte et plus il est anxieux. Parce que plus il est haut, plus il pense devoir se montrer comme étant un chat d'excellente qualité. Ainsi, plus il monte, plus il est vigilant et préoccupé par ce qui pourrait le discréditer. On remarque que ses questionnements sont peu à propos de la tâche elle-même. Il n'est pas question de mieux réfléchir à son travail ou à ce qu'il pourrait faire pour la vie des chats de son clan. Son attention est capturée par ce qu'on pourrait dire ou non de lui. Tel chat approuvera-t-il mon choix, tel autre va-t-il m'en vouloir, qui sera partisan de l'idée que je veux proposer, qui s'opposera à moi ? Dès qu'on lui reproche quelque chose, il s'empresse de se blâmer intérieurement. Lorsqu'il devient Étoile de Feu, il est particulièrement soucieux de sa légitimité à être à cette place et prête l'oreille à tout signe pouvant aller contre lui.

C'est cela la vie au sommet avec l'état d'esprit fixe. Rien ne s'apaise jamais, car jamais n'arrive le jour où on parvient suffisamment à se rassurer sur sa propre valeur. Et tout le temps passé à se réconforter d'une manière ou d'une autre, en se l'avouant ou non, n'a pas été utilisé à construire une vie psychique véritablement intéressante, pertinente pour vivre paisiblement en soi-même et avec les autres. Mais plus on grandit et plus le nombre de problèmes potentiels augmente. Avec l'état d'esprit fixe, on se débat pour se maintenir à flot et de nombreuses conséquences négatives peuvent s'accumuler. On est plus susceptible de devenir hostile envers les autres, ou de le rester si on l'est déjà. Dans un cadre de pensée dans lequel les autres sont essentiellement des rivaux ou des juges, la compassion et l'intérêt pour la perspective d'autrui ne vont pas de soi. Souvent, les gens ne se posent même pas la question, bien qu'à peu près tout le monde défende le contraire. C'est normal, l'état d'esprit fixe ne saurait accepter qu'on avoue ne pas vraiment écouter les autres ou ne pas s'être vraiment demandé ce qu'ils ressentent. Nous sommes très nombreux-se à passer le temps de parole de l'autre à construire ce que l'on a envie de dire dans notre tête en attendant de récupérer la parole. Ce qui nous rend nécessairement moins attentif-ves.

D'autres problèmes peuvent apparaître, plus ou moins liés à une santé mentale malmenée. Le sujet du mensonge en est un exemple. Lorsque dissimuler semble nécessaire dès l'enfance, il devient normal de fonctionner ainsi. Mentir un peu plus n'est pas bizarre, ce qui va de paire avec se mentir à soi-même. De la même façon que plus on accumule les incohérences de raisonnement et plus elles semblent normales et peut-être sensées après tout. Encore faut-il les voir ces incohérences d'ailleurs, ce qui demande d'envisager en commettre. Et aussi d'envisager qu'on s'invente l'avoir envisagé, mais qu'en fait on n'a pas envie de trouver des erreurs dans ce qu'on fait. Encore moins s'il semble que cette découverte provienne de quelqu'un d'autre, car l'état d'esprit fixe soufflerait alors que notre valeur est peut-être plus faible que celle de cette personne.

Il serait facile de blâmer Cœur de Feu pour ses mensonges. Il est plus honnête de se demander si l'environnement lui permet suffisamment d'être sincère. Si vous vous attendez à ce qu'on ne vous écoute pas si vous donnez votre avis, voire qu'on vous sermonne pour l'avoir donné, il est naturel que vous songiez à le cacher ou à le transformer pour que votre expression ne vous mette pas votre interlocuteur à dos.

Cependant. D'une part, Cœur de Feu rencontre principalement ce problème lorsqu'il est apprenti. Il pourrait décider de ne pas reproduire le problème avec ses disciples et profiter de son pouvoir grandissant pour remettre en question ce qu'il a appris et explorer des bases plus saines, pour lui et pour les autres chats. Cela demande un travail d'introspection sur ce qu'on a appris et qui est devenu automatique dans notre fonctionnement. Travail qui n'est pas favorisé par un état d'esprit fixe, surtout s'il est très présent chez un individu. Mais c'est bien cela qui briserait le cycle. Chaque pas en-dehors de l'état d'esprit fixe serait une progression bienvenue, même s'il restera toujours du chemin.

D'autre part, Cœur de Feu est-il autant qu'il le croit en impossibilité d'être honnête ? On peut penser par exemple aux passages dans lesquels il tente d'avertir Étoile bleue sur les trahisons secrètes de son lieutenant Griffe de Tigre. Elle prend mal ce qu'il dit et s'emporte contre lui. Cœur de Feu abandonne rapidement et ne la relance plus. Il a pourtant des arguments, un témoin, parfois il assiste lui-même à quelque chose de très suspect et il ne le partage pas. Il a parfois tout ce qu'il faut pour armer sa position et pourtant renonce dès que sa cheffe s'oppose à ce qu'il dit. Le problème se produit à nouveau lorsque Griffe de Tigre devient chef du Clan de l'Ombre. Cœur de Feu a un boulevard pour révéler ses agissements à tout le monde et ne le fait pourtant que très tardivement dans l'histoire. Pour tous les problèmes de la série, il ne parle vraiment que lorsqu'on lui en donne une occasion vraiment bien dégagée ou qu'il n'a plus le choix parce qu'un problème est devenu urgent.

Ce que j'y vois, c'est l'expression d'une personne (puisqu'il y a une humaine derrière Cœur de Feu) qui a tellement intégré ce mode de communication qu'elle en fait usage à tout instant sans le questionner. C'est un phénomène que tout le monde connaît, dans l'immense majorité des cas sans en avoir bien conscience, ou même conscience tout court. On absorbe des façons de penser et d'être en relation dans l'enfance et cela forme une grille de lecture du monde qu'on utilise par défaut. Si des pensées et comportements issu-es de l'état d'esprit fixe ont été intégré-es à cette grille, on tendra à les reproduire et ainsi à nourrir la partie fixiste de notre pensée. Plus on y croit, moins on le questionne, plus on risque comme Cœur de Feu de prendre pour des évidences (on ne le croira pas s'il persiste) ce qui n'en est pas, d'utiliser partout les mêmes logiques peu importe qu'elles correspondent à la situation ou non.

Conclusion de la deuxième partie

Nous avons précisé la présentation de l'état d'esprit fixe. Nous avons vu qu'il fragilisait la pensée, la rendant moins créative, plus dépendante d'une vision binaire en cases qui s'opposent ou en bien et mal. La pensée fixiste est fortement tournée vers la préservation de la valeur personnelle et craintive de tout ce qui pourrait la menacer. Ainsi, les erreurs, les échecs et les failles sont jugées avec appréhension, peur et la volonté de les cacher. Cette dissimulation, qui peut être si ordinaire qu'on ne la voit plus, peut entraver la reconnaissance de ses propres difficultés et la demande d'aide extérieure. L'état d'esprit fixe rend aussi moins armé pour comprendre ces difficultés, plus susceptible d'y être vulnérable et d'abandonner rapidement devant les obstacles. L'omniprésence des pensées dirigées vers la défense de notre valeur personnelle favorise une vie psychique peu tournée vers la perspective des autres et peu apte à trouver des solutions à des problèmes inédits.

La tourmente engendrée par l'état d'esprit fixe ne s'affaiblit pas en montant les échelons mais a au contraire tendance à faire d'autant plus rage que l'on se sent regardé-e et en charge de responsabilités. Il est impossible de se sentir à la hauteur une fois pour toutes, c'est une quête vaine qui tend à se perpétuer par l'habitude. La questionner est essentiel pour en sortir et pour éviter de nourrir cet état d'esprit chez les autres.

À présent que nous avons un tableau relativement complet de l'état d'esprit fixe (quoi qu'il y aurait des choses à dire encore dessus), nous allons pouvoir entrer dans l'état d'esprit de croissance, une autre vision de la vie. Il m'a semblé pertinent de prendre d'abord le temps d'expliquer l'état d'esprit fixe, afin que l'on situe bien en quoi l'état d'esprit de croissance est différent et pertinent à développer. Je vous retrouve dans la partie 3, qui sera donc dans le tome 3 de La Guerre des Clans (Les Mystères de la forêt). Attention, sur Senscritique il est actuellement renseigné uniquement avec ce titre (Les Mystères de la forêt) et non celui de la série auquel il appartient ni son numéro de tome. Si vous craignez de vous tromper, voyez la liste que j'ai créée sur mon profil et qui rassemble toutes les parties de cette analyse. Si en vous y rendant vous ne voyez pas la partie 3, c'est que je ne l'ai pas encore écrite.

Discocresco
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le 24 juin 2024

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