À l'est d'Eden par BibliOrnitho
La dernière page achevée, je me trouve désemparé : comment résumer un tel livre ? Comment en parler de façon juste, complète, sans rien omettre d’important ? Et sans trop dévoiler le livre. Je ne sais trop et crains de ne pas briller dans cet exercice périlleux : je me lance tout de même en espérant écrire quelque-chose qui tienne à peu près la route.
A l’est d’Eden est un roman titanesque – dont le titre fait référence à un verset de l’épisode d’Abel et Caïn. Articulé en quatre parties dont la première débute au milieu du XIXe siècle en contant en parallèle l’histoire respective de deux familles : les Trask et les Hamilton que le lecteur suivra avec délectation tout au long de cette fresque éblouissante.
Samuel et Liza Hamilton ont quitté leur Irlande du nord pour s’établir dans la vallée de Salinas en Californie. Sans le sou, ils n’ont pu acheter leur terre et ont dû se contenter de la propriété offerte par l’Etat aux nouveaux arrivants désireux de s’implanter. Leurs collines arides sont impropres à l’agriculture et le système D devient pour eux une nécessité puis un mode de vie. Samuel est un homme heureux, gaie et aimé de tous. Inventeur de génie, bricoleur passionné, il ne s’enrichit pourtant jamais car oublie souvent de se faire payer son travail.
Les Trask, eux, avaient de l’argent. Cyrus, le père, après un passage éclair dans l’armée de l’Union en 1860 et quelque, trouva à s’employer et à fort bien tirer son épingle du jeu. Si bien qu’il parvint à frayer dans les coulisses de la Maison Blanche. Et à amasser une coquette somme qu’il légua à ses deux fils, Adam le calme et Charles le violent (une autre évocation d’Abel et Caïn). L’aîné en avait sa claque de la ferme du Connecticut. Il ne pensait qu’à gagner la Californie, terre promise de l’ouest américain. Mais Charles, solidement ancré à la terre ancestrale, refusa le déracinement. Adam partit seul, sa toute nouvelle épouse (Cathy) sur les talons.
En Californie, Samuel et Liza eurent neuf enfants, quatre garçons et cinq filles – dont Olive, épouse Steinbeck, mère de John, le narrateur. Adam et Cathy en eurent que deux : Cal et Aron, des faux jumeaux qui ne ressemblaient fort peu (Abel et Caïn de nouveau). Mais Cathy, emplie de haine, tira sur son époux qui refusait qu’elle le quitte et partit vivre sa propre vie sous d’autres cieux bien plus sombres, abandonnant mari et enfants sans le moindre regret…
De la guerre de Sécession à la Première Guerre mondiale, le lecteur suit le destin de ces deux familles sur trois générations autour desquelles gravitent une foule de personnages, secondaires ou non : Lee, le serviteur chinois d’Adam Trask (un personnage clé) ; Faye, la tenancière de bordel ; mais aussi Abra, Joe, le shérif… représentant soit le bien soit le mal.
Outre l’occasion de nous raconter sa terre natale, Steinbeck décrit la société américaine à la fin du XIXe et au début du XXe et montre, notamment, comment l’individu est perçu par le groupe selon son origine ou sa naissance et le poids des préjugés sur son existence et son parcours : Lee est de la classe des serviteurs alors qu’il est né sur le sol américain et a étudié au sein d’une université américaine ; Samuel, lui, est considéré socialement alors qu’il est né en Irlande et n’a aucun diplôme.
Ces axes de réflexions restent d’actualité six décennies après l’écriture du roman. Une fresque extraordinaire, d’une incroyable modernité. Modernité n’étant d’ailleurs pas le terme le plus approprié car l’histoire pourrait être placée telle quelle à n’importe quelle époque tant ces considérations sont intemporelles.
Un roman d’exception. Un roman comme il y en a peu et qui aurait amplement mérité de figurer dans mon Top 10 si un autre Steinbeck ne s'y était déjà glissé.
Fa-bu-leux !