À la colonie disciplinaire et autres récits par MarianneL
Glané pendant mes longues flâneries dans les brocantes normandes, ce recueil de nouvelles de Franz Kafka, publié par Gallimard en 1948, qui regroupe « La colonie pénitentiaire » (1919), quatre nouvelles parues en 1924 sous le titre de « Le champion de jeûne », ainsi que deux récits inachevés, « Le terrier » et « La taupe géante », portait en lui une odeur de bibliothèque poussiéreuse, mais le siècle écoulé depuis son écriture n’a pas imprimé la moindre ride sur la nouvelle éponyme « La colonie pénitentiaire ».
Texte visionnaire, cette nouvelle est un récit comme on en rencontre très peu, qui porte en lui une nouvelle interprétation à chaque relecture.
De passage dans une colonie militaire, sous les Tropiques, un voyageur, dont visiblement l’avis compte, est convié à assister à une exécution, la condamnation à mort d’un soldat prononcée dans des conditions de justice iniques. Cette exécution doit se faire au moyen d’une machine barbare, faisant subir un long supplice au condamné en inscrivant le motif de sa condamnation dans son dos, qu’il va déchiffrer avec ses plaies, juste avant de mourir. On découvre le déroulement du supplice par la description détaillée qui en est faite par l’officier exécuteur de la sentence, gardien de la machine et dernier partisan de cette barbarie dans la colonie. L’officier cherche ainsi à obtenir le soutien du voyageur pour que la machine soit maintenue en fonctionnement.
Métaphore de l’humanité, de la littérature ou du destin de Kafka lui-même -qui était à cette époque fiancé depuis deux ans à Felice Bauer et prisonnier de son obsession pour elle, des lettres quotidiennes qu’il lui adressait- ce texte ne cessera jamais de déployer ses sens.
« Le voyageur se proposait de poser diverses questions, mais, à l’aspect de l’homme, il demanda simplement :
"Connaît-il la sentence ?
-Non", dit l’officier
Et il allait poursuivre immédiatement ses explications quand le voyageur l’interrompit :
"Il ne connaît pas sa propre sentence ?
-Non", répéta l’officier en s’arrêtant un instant comme pour permettre au voyageur de motiver plus précisément sa question.
Puis il dit :
"Il serait inutile de la lui faire savoir puisqu’il va l’apprendre sur son corps." »
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