Joseph Pontus a quitté son travail d’éducateur spécialisé et sa ville pour rejoindre sa femme en Bretagne.
Mais l’amour remplit mal les casseroles.
Il faut travailler. L’argent doit rentrer dans le foyer.
Puisque notre homme ne trouve pas de travail dans la continuité de ce qu’il faisait, il se retrousse les manches et il va pointer, à l’usine.
Ces feuillets d’usine retranscrivent cette expérience. C’est une immersion dans le travail manuel, celui qui fatigue, celui qui use. Celui qui en veut à votre dos, à vos articulations, à votre santé. Mais aussi celui qui vous apaisera les terreurs nocturnes, assommé par la fatigue.
Celui qui ne vous fait pas de cadeau quand vous êtes un intérimaire, où l’agence vous contacte pour un nouveau contrat sans respecter les délais entre deux périodes travaillées, où vous êtes moins bien considéré que les autres, que vous regarderez avec envie partir en grève. Celui où votre vision à long terme dépend de la durée de vos contrats, sans garantie sur le suivant.
Celui où vos horaires ne correspondent plus à ceux de vos proches, où selon les besoin des contrats il faut se recréer de nouveaux calendriers, de nouvelles habitudes pour manger et dormir, pour reprendre des forces, primordial avant la reprise.
Un monde où le travail doit se faire parcequ’on vous demande de le faire, où il faut connaître les protocoles mais les respecter avant tout pour les grands événements, l’arrivée des chefs dans votre zone de travail pour surveiller l’avancement ou la visite des plus grands clients, alors il faut que tout soit propre, que ça brille.
Un univers où il faut être fort et résistant, mais aussi être malléable, de bonne composition. Selon les contrats, il peut s’agit d’un nouveau poste au sein de la même usine, quand parfois il faut changer d’entreprise, et tout reprendre à zéro, mais garder l’endurance et cette volonté.
Joseph Ponthus ne s’arrête pas, il enchaîne, de peur de passer pour un tire au flanc, de peur que l’agence ne le contacte plus. Ses deux expériences les plus importantes se font dans une usine agroalimentaire de fruits de mer puis dans une usine de boucherie. Pas vraiment les expériences les moins salissantes, les moins odorantes ou même les moins difficiles.
Cette expertise dans la force du travail, et parfois de ce travail forcé, car il faut bien vivre, il la déroule avec la plus belle des sincérités. Il n’en fait pas un roman, il n’en fait pas un essai, un témoignage ou autre. Il la propose sous la forme de vers libres, simples, puissants. Des petites phrases, une poésie détachée de tout lyrisme. Une culture littéraire évoquée pour appuyer son expérience, pas pour l’aider à embellir ou dramatiser la situation. Des évocations, pas des grands paragraphes, comme si c’était aussi tout ce qu’il était possible de créer après une dure journée d’usine.
Le ton est parfois désabusé, parfois inquiet, le plus souvent las, mais aussi déterminé, prêt à aller arracher un peu d’argent contre sa force brute. Dans ces quelques pages, les doutes sont forts, les inquiétudes sont nombreuses, mais il y aussi derrière les difficultés d’autres moments positifs, parfois au contact de collègues et peut-être même d’amis, pour combler des postes le plus souvent solitaires et isolés. Les petites joies, ces respirations dans l’emploi du temps, quand la grosse machine s’arrête pour une panne, quand l’avance est suffisamment prise pour s’accorder une petite cigarette. Mais aussi cette satisfaction de créer, de produire, même si c’est pour de mauvaises raisons, pour engraisser les familles à Noël ou les délester de leur argent, pour que l’entreprise puisse se faire de la marge sur le dos des consommateurs, pour tuer les animaux pour produire, toujours plus.
C’est une lecture captivante, épurée mais évocatrice, d’une langue lasse. L’oeuvre de Joseph Ponthus a été récompensé par plusieurs récompenses, et a fait sensation lors de sa sortie. Sur moi, elle a rappelé des expériences pourtant lointaines et différentes dans le monde de l’usine, en tant qu’intérimaire. A la ligne est d’une force rare, d’une vérité sincère, qui soulage dans des productions romancées bien éloignées de cet univers ouvrier délaissé par des écrivains aux mains trop propres.
Un livre rare, d’un auteur honnête et vibrant d’humanité. Un livre hélas unique, Joseph Pontus est mort des suites d’un cancer en 2021. Qu’il repose en paix. Il l’a bien mérité.