« À ceux qui guettent le moment propice »
Qu'il est difficile, dès le matin dans le métro, de lire des observations justes, précises et claires sur la réalité de nos sociétés contemporaines ! C'est simple, je dois me forcer à espacer mes lectures sous peine de ne plus voir en mes amis (car pour mes collègues de bureau c'est déjà trop tard) que des collaborateurs parmi tant d'autres, contribuant à précipiter un monde déjà chaotique dans le néant.
Que dire d'À Nos Amis ? Comme pour son prédécesseur, L'Insurrection Qui Vient, il est difficile de croire que la volonté révolutionnaire des auteurs prime sur la volonté stylistique : le rythme, le choix de la syntaxe, le découpage sont proprement irréprochables, et l'essai fiché dans nos paumes se transforme souvent en recueil de poésie.
La réflexion, principalement basée sur l'observation des révolutions, tentatives de révolutions et grosses protestations de ces dernières années dans divers pays (Grèce, Bolivie, Égypte, France, etc.), se veut incitatrice : comprendre les erreurs toujours un peu plus, comprendre ce qu'on doit privilégier, se méfier du nihilisme pur ou du radicalisme aveugle au sein d'un groupe, se féliciter de l'autogestion et de sa rapide mise en place lors d'évènements qui s'inscrivent dans la durée... L'ouvrage a également vocation à démystifier le pouvoir, à comprendre ses bassesses, ses fondements, son apparente invulnérabilité et sa faiblesse effective : le pouvoir ne cherchant qu'à catégoriser et politiser de petites masses "insurrectionnelles" pour les isoler du troupeau de moutons gouvernable les yeux bandés, n'oublions donc pas que sans moutons, sans séparation effective du peuple et donc sans création de matière gouvernable... Le pouvoir n'a pas lieu d'être.
Ces petites saveurs, ponctuant des constats toujours plus accablants même pour un individu déjà au fait de la complexité de nos sociétés et de l'enchevêtrement des valeurs du "bien et du mal", sont de réelles poches d'air, et rappellent que si le constat est moche, l'action est permise et l'échange est de mise (que vous disais-je ? De la poésie).
Reste que parfois, le style et le ton se prêtent à une sorte de feeling mitigé : difficile, finalement, de ne pas penser tout au fond de sa cavité crânienne à une dramatisation (si faible soit-elle, on ne parle pas du tout d'exagération ou de mensonge) au profit de la prise de conscience. Pourtant, on ne manque jamais de prendre le comité au sérieux, et l'ouvrage nous permet de lier certaines causes et/ou certaines conséquences entre elles. Et passé le coup de mou éventuel occasionné par l'amer constat, renaît la bête.
Cette "modeste contribution à l'intelligence de ce temps" est, comme l'ouvrage précédent du comité, une bonne et belle lecture, indispensable pour comprendre un peu mieux les enjeux et défis de notre temps.