Laura Kasischke a ceci de particulier qu’elle met en scène des personnages qui nous échappent. Des personnages que l’on ne comprend pas, que l’on ne peut saisir, que l’on ne peut suivre et dont la destinée va, glisse inexorablement et paresseusement vers son point de chute. Leila, jeune prostituée, n’a pas d’attache. Elle est molle en apparence, on la dirait neutre, éteinte, indifférente ; on sait pourtant qu’elle ressent le monde, l’éprouve dans sa chair, possède une lecture ultra-lucide des hommes et des femmes qu’elle rencontre, une sorte d’intelligence discrète et passive qui la place au-dessus - en dehors - à côté de celleux qu’elles rencontrent. Leila vit dans un monde « fait de constats » (constat d’elle-même, des évènements, situations, etc.) L’écriture de Kasischke en est le témoin. Dans ce roman, Kasischke ne décrit pas bêtement ce que Leila ressent. Elle nous livre ce qu’elle pense, avec distance, en quelques mots. Elle place le lecteur et la lectrice en « spectateur du néant » face à un personnage impassible et que plus rien ne retient vraiment.