Ma vie avec Clint
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René Girard n’est point d’une lecture aisée. Le philosophe se fait, d’une phrase à l’autre, sociologue, psychologue, historien, théologien ou stratège. Je ne prétends certes pas analyser son œuvre, mais en extraire quelques pistes de réflexion.
Depuis Liddell Hart, il est de bon ton d’accabler Clausewitz de tous les maux. Ces martiales sentences « il existe qu’un seul moyen : le combat » ou « la solution sanglante de la crise, l’effort pour détruire les armées ennemies, voilà le fils aîné de la guerre » auraient fasciné les généraux européens et conduit aux massacres des deux guerres mondiales.
Girard réhabilite le vieux Prussien : il n’a fait que constater l’évolution de la guerre. C’est la France révolutionnaire, puis impériale, qui par sa « Patrie en danger », ses levées en masse et ses « Mort aux tyrans » a bouleversé la donne… et, ce faisant, humilié la Prusse. Très codifiés, les conflits d’antan ne se donnaient que des objectifs limités : le gain d’une province, un mariage ou une succession dynastique… L’ancienne société chrétienne savait contenir sa violence. Or, les Français innovèrent avec la guerre totale, écrasant tout sur leur passage, ils tuèrent le Vieux monde. Girard y voit la réalisation, à l’échelle internationale, de sa rivalité mimétique.
« La possibilité d’une fin de l’Europe, du monde occidental et du monde dans son ensemble. Ce possible est aujourd’hui devenu réel. […] Mon hypothèse est mimétique : c’est parce que les hommes s’imitent plus que les animaux, qu’ils ont dû trouver le moyen de pallier une similitude contagieuse, susceptible d’entraîner la disparition pure et simple de leur société. Ce mécanisme vient réintroduire de la différence là où chacun devenait semblable à l’autre, c’est le sacrifice. L’homme est issu du sacrifice, il est donc fils du religieux. Ce que j’appelle après Freud le meurtre fondateur – à savoir l’immolation d’une victime émissaire, à la fois coupable du désordre et restauratrice de l’ordre - […] Telle est la logique implacable du sacré, que les mythes dissimulent de moins en moins, au fur et à mesure que l’homme prend conscience de lui-même. […] C’est le christianisme qui démystifie le religieux et cette démystification, bonne dans l’absolu, s’est avérée mauvaise dans le relatif, car nous n’étions pas préparés à l’assumer. Nous ne sommes pas assez chrétiens. On peut formuler ce paradoxe d’une autre manière, et dire que le christianisme est la seule religion qui aura prévu son propre échec. Cette prescience s’appelle l’apocalypse […] La violence est aujourd’hui déchaînée au niveau de la planète entière, provoquant ce que les textes apocalyptiques annonçaient : une confusion entre les désastres causés par la nature et les désastres causés par les hommes […] La violence, qui produisait du sacré, ne produit plus rien qu’elle-même. […] Ce plus en plus est la loi de nos rapports, à mesure que la violence croît dans le monde, au risque cette fois de le détruire. Polémos, écrivait Héraclite, est père et roi de tout. »
La société moderne ne se connaît plus de limites. Nos guerres sont idéologiques, opposant le camp du Bien à celui Mal. Elles assument, voire revendiquent, le risque d’une montée aux extrêmes. Prenons un peu de recul, les deux camps luttent pour leur bien, forces de l’Axe et Alliés, Occidentaux versus Islamistes, tous unis dans la détestation de l’adversaire et l’acceptation de la violence. Curieusement, c’est le défenseur qui donnera le ton. Acceptera-t-il de se soumettre, limitant la barbarie. Ou, se défendra-t-il de toutes ses forces, levant partisans ou terroristes… La victimisation de l’agressé justifie tous les moyens, qui en retour exaspèrent l’agresseur, qui se déclarera à son tour agressé. Le cercle vicieux de la réciprocité de la violence répond bien aux critères du désir mimétique énoncés par Monsieur Girard !
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le 23 avr. 2016
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