Lire un livre d'images... est-ce possible? Oui. Une image se lit, s'interprète, comme au cinéma en fait, art dont la photographie serait en quelque sorte la "cousine", en tout cas un proche parent... et aussi parce-que Raymond Depardon nous raconte tout simplement un voyage en Afrique comme un clochard céleste, un vagabond photographe français en voie de disparition, qui, par le caractère poignant de ses images, mais jamais larmoyantes ou culpabilisantes, nous emmène avec lui dans plusieurs Afriques, d’où le titre de son livre, chargé d’une humanité et d’une humilité artistique rare : Afrique(s).
Car il y a effectivement plusieurs Afriques : l’Afrique que l’on idéalise, comme Jimmy Tousseul, l’Afrique des fétiches, des sorciers, de la savane, des animaux sauvages dans les réserves. L’Afrique dont le peuple sourit en permanence, même quand il est pris en photo.
Il y a aussi l’Afrique réelle, la dure : l’Afrique des ethnies, l’Afrique des génocides et des folies incompréhensibles, l’Afrique du sida, l’Afrique humble et pudique : que Depardon nous apprend ici en affirmant que les malades du sida ne parlent jamais de « sida » (ils disent, par pudeur, qu’ils ont la diarrhée, qu’ils vomissent, ou qu’ils ont mal partout). Et toutes ces Afriques sont présentes dans cet ouvrage. On y trouve son compte, et même bien au-delà.
Il y a les critiques que l'on réfléchit, que l'on pense. On fait attention à ses mots, on souhaite écrire avec verve. On souhaite défendre l’œuvre ou la descendre. On critique, on est partagé. Et il y a les critiques que l'on balance, spontanément, que l'on éructe même. Celles qui ne se préparent pas, qui ne se pensent pas. Celles qui s'écrivent avec la puissance des émotions ressenties devant l’œuvre. Avec colère. Ici, en l’occurrence, et à la lecture de cet ouvrage, je suis passé par toute la palette des émotions connues de tous. Mais ce sont les valeurs présentes dans cet ouvrage que je retiens ici : la volonté et l’humanité du photographe que de nous montrer une part de(s) réalité(s) de l’Afrique, transmises à travers cet art du beau, en noir et blanc.
Les photos interpellent. Nous arrêtent un moment par la désillusion et la tristesse (bien souvent) qu’elles suscitent : on regarde, on constate. Les commentaires de l’auteur nous en apprennent encore plus sur ce que l’on voit. Mais dans le même temps, on déplore le fait que l’on ne fera rien pour améliorer ce que l’on voit, on ne peut que regarder. …Vraiment ?