De prime abord, American Psycho a tout du roman racoleur faussement subversif qu'on nous vend régulièrement. Se posant comme une peinture sans concession de la jeune figure de proue de l'élite sociale américaine, une décennie avant l'avènement des "nerds", une première lecture distraite confirme cet à priori. L'écriture, épousant le regard de Bateman, (jeune) blanc riche, arrogant, méprisant et passablement manipulateur, nous fait découvrir un monde sale, où l'hypocrisie, la superficialité et les faux semblants déterminent tous les rapports humains. Où la violence devient moment de pure extase jubilatoire pour un nanti sans coeur et sadique, qui nous décrit longuement ses (supposés) meurtres, en ne lésinant pas sur les détails les plus glauques. Si on s'arrête à cette "vision", on n'assiste qu'à un défilé de démembrements, de misogynie et de (très longues) descriptions des tendances de mode et de consommation de la haute couche sociale américaine. Et ma foi, c'est laborieux et peu ragoûtant...
Mais une fois le style d'Ellis "digéré", on peut dégager de l'oeuvre, si ce n'est un pamphlet brutal de cette dite catégorie sociale, une description méthodiques de ses habitudes, goûts, comportements... Dès lors, la peinture repoussante prend son intérêt, et commence à captiver... On ne sait pas si Easton était tout à fait conscient de ce qu'il faisait, mais on constate que tout n'est pas à gerber dans son oeuvre. Les vestes en crocodiles épousent leurs porteurs, attestant de leur leur aliénation à des codes culturels dont ils ne prennent (ou ne peuvent prendre) nul recul. Et une simple scène de dîner devient une démonstration de la perte de l'intérêt des individus pour autrui ; ces derniers ne prenant pas en compte la parole de leur interlocuteur. Seule leur propre personne, ou plutôt l'image valorisante qu'ils veulent en donner (on pourrait même dire le "masque social"), les préoccupant.
Dès lors, la subjectivité du narrateur devient un outil pour à la fois cerner les contours de cette aliénation mais aussi pour détailler un profil psychologique qui rappelle que les individus, tout aussi épris d'individualisme puissent-ils être, restent construits par la société dans laquelle ils vivent.
Quand Bateman s'en prend à un sdf, en le traitant de "minable" et de "parasite" ne cherchant pas à s'en sortir, il nous renvoie à notre propre conditionnement social. Ou plus exactement ici, à celui de la société américaine, où les individus au plus bas de l'échelle social sont tenus pour seuls responsables de leur échec, et sont sermonnés et réprimés en conséquences par les privilégiés.
Par contraste, suivre les folies de Bateman permet aussi d'être parfois surpris... Notamment quand celui-ci se met à nous pondre une critique détaillée et brillante sur Genesis ; où on distingue une véritable réflexivité et même, de la sensibilité de la part de notre cher Bati. Qui cesse pendant un court chapitre d'être un pur produit désincarné et mensonger pour devenir un véritable humain. Et c'est finalement cela qui est vraiment le plus terrifiant... Puisqu'alors on prend conscience que cet individu n'est pas si différent de nous... Et si au fond, il n'y avait pas un peu de "Bateman" à l'intérieur de tous les individus ?