Car pavé il y a !
Il est vrai qu'attaquer ces quelques 1000 pages peut se révéler intimidant.
Une option, proche du conseil, consiste à le parcourir à intervalles réguliers, dans un environnement restreint mais intime, posé délicatement sur vos genoux dénudés pendant qu'une partie de vos muscles combine ses efforts pour produire sur votre métabolisme un soulagement salvateur. Le plaisir, pour peu que vous en preniez lors de l'opération sus-nommée, sera alors double (potentiellement le pavé aussi, par la même occasion)
J'ai mis près de deux ans à lire de la première à la dernière page ce livre monumental.
Il n'y a pas de hasard, sa lecture a peu ou prou correspondu à mon arrivée sur SensCritique, et la combinaison des deux sources d'information et de plaisir a pris la forme d'une boite de pandore, d'une corne d'abondance infinie, les deux sources se répondant, s'alimentant, résonnant l'une vis-à-vis de l'autre en un allez-retour divin, une partie de ping-pong céleste.
A titre d'exemple, l'ouvrage débute par "le parrain", John Ford. J'ai lu les merveilleuses pages qui lui sont consacrées en tentant de faire resurgir mes vieux souvenirs d'enfance ou d'adolescence. Puis vint SensCritique, la rencontre avec un bougon et son ami d'Agen, et une vision nouvelle des œuvres du vieil irlandais. Du coup, le relecture de certains passages de la bible de Tavernier devenait obligatoire (grâce à un index très complet, au passage).
Et tout est à l'avenant.
28 immenses réalisateurs, 28 lumineux entretiens, brillants, passionnants, éclairant, parfois même stupéfiants.
La Tavernier's touch est bien là: l'ensemble est d'une érudition absolue sans jamais être pédant. Il a rencontré tout le monde, a noué des liens d'amitié avec une grande partie de ce qui a constitué la liste noire dans les années 50, son regard est lucide et plein de recul sur les uns et les autres (non seulement il a presque tout vu mais en plus il a presque toujours revu, pour parfaire ses avis).
Ses éclairages sur certains parcours, comme celui de Kazan, sont emprunts d'une grande délicatesse (ne rien cacher, comprendre et au contraire montrer certaines œuvres sous un autre angle, encore plus riche).
Enfin, pour donner une idée de la connaissance et de l'amour vertigineux qu'a Bertrand pour le cinéma, il suffira de lire l'entretien stupéfiant auquel il se livre avec Tarentino, en conclusion de cet ouvrage enivrant. Surgit une avalanche de références, d'anecdotes, d'avis tranchés, de descriptions de scènes, de précisions, qui n'a rien d'académique. Ce sont deux boulimiques fanatiques de pellicule. On a le sentiment d'être alors des (vraiment petits) nains, mais sans pour autant se sentir écrasés.
Bien au contraire. On ne rêve que d'une chose: continuer à soulever, modestement, ce rideau délectable qui mène à la félicité et au plaisir quasi-infini d'une cinéphile riche et savante.
En fait, le paradis est pavé de bonnes citations