La Troyenne et le fantôme d'Hector
Alors voilà : Oreste aime Hermione qui aime Pyrrhus qui aime Andromaque qui aime Hector (qui est mort, tué par Achille, le père de Pyrrhus ; la veuve reporte donc tout son amour sur son fils).
Là où ça se complique un peu, c'est quand on ajoute l'aspect politique : nous sommes après la guerre de Troie, Andromaque et son fils Astyanax sont prisonniers du grec Pyrrhus. Les Grecs ont la trouille au sujet d'Astyanax : il pourrait vouloir se venger et reconstruire Troie. Donc, on envoie Oreste en ambassadeur pour qu'il ramène le gamin en Grèce (où il sera exécuté). Pyrrhus en profite pour exercer un affreux chantage sur Andromaque : "épouse-moi et je protège ton fils ; ne m'épouse pas, et je cède Astyanax aux Grecs".
On assiste alors à un incroyable retournement de situation : celle qui a le statut social le moins enviable (veuve, représentante d'un peuple vaincu, prisonnière à la merci d'un général) tient le destin de tous entre ses mains.
Il faut dire que plusieurs personnages sont prisonniers. Ainsi, Pyrrhus est pris entre son amour pour Andromaque et son devoir envers la Grèce : s'il épouse la veuve et protège Astyanax, il est considéré comme un traître par son propre camp et risque de subir le sort de Troie. A ses côtés, Oreste : s'il réussit en amour, il échoue forcément sa mission politique (et inversement).
Il faut noter ici le formidable emploi que fait Racine de l'alexandrin, utilisant les hémistiches, le rythme binaire et les chiasmes pour montrer l'enfermement des personnages dans une situation forcément inextricable.
On sent donc que ça va mal finir. D'autant plus que la mort est très présente dans le texte. Dès la première scène, on nous présente Oreste comme un suicidaire et Andromaque reste amoureuse d'un mort et ne rêve que de le rejoindre.
Hector est tellement présent dans la pièce qu'on a presque l'impression de voir son fantôme. C'est l'amour d'Hector qui dicte ses décisions à Andromaque. C'est la peur d'Hector qui fait pression sur les Grecs pour qu'ils tuent Astyanax.
Dernier élément dont il faudrait parler : pour une pièce classique, Andromaque fourmille de détails baroques (petit rappel historique : le classicisme s'était bâti en stricte opposition au baroque, qui était un art du mouvement et de l'excès). Il faut lire comment Andromaque raconte la chute de Troie : le sang partout, les morts par milliers, c'est baroque. Il faut parler des constants retournements de situations, des personnages qui changent toujours d'avis : c'est baroque (et c'est aussi un peu lourd parfois ; Hermione, en particulier, mériterait des baffes).
En bref, une grande pièce quand même. Racine a un talent particulier pour présenter des situations très complexe de façon compréhensible. Et il a une maîtrise formidable de l'alexandrin et de l'organisation générale de la pièce.