Je ne lis très peu de roman "noir", en fait même jamais ; celui-ci m'avait été conseillé par ma libraire.
Pourtant, ce livre m'a très vite touché dès le début pour de multiples raisons.
Tout d'abord pour le style littéraire de Wajdi Mouawad, en même temps très dur et très poétique. L'écrivain fait le choix de donner toute la narration aux animaux qui croisent la route des protagonistes. Ainsi, chiens domestiques, chats, rats, abeilles, et des dizaines d'autres bêtes nous livrent les scènes de leur propre point de vue tout au long du récit.
Cet effet s'apparente bien plus qu'à un simple exercice narratif : il témoigne d'un immense respect et d'une affection infinie pour les animaux, mettant tous les Vivants sur un même pieds d'égalité, tous dotés d'une conscience.
"Insecte, oiseau, chien et humain ont par moments plus à voir l'un avec l'autre que chacun avec ses propres semblables."
Ce procédé narratif s'atténue peu à peu : au début, chaque chapitre voit un nouvel animal devenir son narrateur. Puis au fil du récit, certains animaux prennent plus de place, jusqu'à ce que la parole soit donnée à un unique animal : le chien de Wahhch Debch. Enfin, le livre se termine sous la narration d'un humain. Ce changement de rythme dans la narration fait gagner l'histoire en intensité, la rendant de plus en plus prenante.
Ce livre m'a aussi touché pour son histoire. Je ne suis pas friande des romans sombre, mais Mouawad arrive vite à nous faire oublier le "gore" : l'histoire n'est pas que celle d'un meurtre horrifiant ; elle n'est pas que celle d'une course poursuite. C'est aussi l'histoire d'une relation entre l'Homme et l'Animal, l'histoire d'une crise identitaire, d'un personnage qui est mis à nu. Et l'histoire du Liban et de son passé.
Il y a, d'après moi, quelques longueurs au milieu du livre, entre le moment où Waach part sur la route avec Chuck et son chien Motherfucker et le moment où il tue Rooney.
Mais les souvenirs remontés de Waach de sa jeunesse, la rencontre avec Mason-Dixon Line et avec Winona sont des passages superbes qui relancent complètement le récit. Et enfin, la connaissance de la vérité.
En conclusion, un roman d'une grande intensité, dont on oubliera sans doute vite l'enquête et la chasse sanglante, mais dont on se souviendra de la poésie et de la sensibilité des êtres vivants.