« Anna Karénine » de Tolstoï marqua fortement la fin de mon adolescence. La littérature russe, j’avais commencé à l’aimer avec Dostoïevski, et Tolstoï fut la deuxième grande révélation. Ainsi, après Raskolnikov de « Crime et Châtiment », je m’attachais à cette merveilleuse femme qu’est Anna Karénine, femme coupable pour certains, femme absolue et glorieuse pour d’autres. L’histoire tragique de cette femme de la haute aristocratie n’est pas arrivée par hasard sous la plume du grand Tolstoï. Plusieurs années auparavant, le grand romancier entendit parler d’un drame qui frappa l’un de ses voisins : la maîtresse de celui-ci, persuadée de l’infidélité de son amant, se jeta sous un train. Tolstoï, ému et intrigué, se présenta à la gare où le drame venait de se dérouler. Il observa le corps déchiqueté de la malheureuse. Il ne voulut pas oublier. Alors, il décida d’en faire son prochain récit. Dans ce roman, Tolstoï ne se contente pas de se fixer sur la relation adultère Karénine-Vronski, qui s’oppose d’ailleurs au couple heureux formé par Lévine et Kitty, il peint également la société de son époque, à travers le fonctionnement qu’est celui de la classe aristocratique, et la question de la crise sociale et paysanne. En cela, « Anna Karénine » marque un premier tournant dans l’écriture de Tolstoï. Celui-ci commence à devenir un écrivain engagé en faveur de la cause paysanne. Désormais, Tolstoï ne pourra plus se définir uniquement à travers « Guerre et Paix », il deviendra un auteur plus difficile à saisir. Aussi, ses œuvres futures, tel que « Maître et Serviteur » ou encore « Résurrection », manifesteront l’aboutissement de cette conversion, teintée souvent de mysticisme. Donc, qui est le « vrai » Tolstoï ? Celui de « Guerre et Paix » ? Celui d’ « Anna Karénine » ? Celui de « Résurrection » ? Les trois, à la fois, je pense. La vie d’Anna Karénine se terminera dans une gare, celle de Tostoi également. Le 21 Novembre 1910, après avoir renoncé à tout bien matériel, Tolstoï fuira sa famille et sa propriété de Poliana pour rejoindre la gare d’Astapovo. Epuisé par la maladie, il mourra dans cette gare de campagne. Lorsque j’ai appris qu’il s’était éteint dans ces circonstances, je n’ai pu m’empêcher de penser à Anna Karénine et de l’aimer encore davantage.