Pourquoi aime-t-on Anna Karénine ? Quel plaisir trouve-t-on dans ce roman-fleuve de 900 pages, interminable et où il ne se passe, soyons honnêtes, pas grand’chose ?
On devrait tout naturellement s’ennuyer autant que les personnages principaux, tous plus insupportables les uns que les autres. En effet, qu’est-ce que c’est qu’Anna Karénine, si ce n’est un immense portrait d’une aristocratie russe désoeuvrée et oisive, qui ne sait tellement plus comment occuper le temps que ses loisirs, au fil des pages, semblent de plus en plus inutiles et superficiels, et ne servent qu’à lui faire momentanément oublier son inutilité et sa fainéantise ? On finit par ne plus comprendre les caprices et sautes d’humeur des personnages, si ce n’est qu’ils sont vraisemblablement les produits de leur désoeuvrement, de ce sentiment qui les étreint que, en cette fin de XIXème siècle, ils sont déjà un peu has been. Les quelques paysans, bonnes, domestiques qui jalonnent l’œuvre devraient paraître beaucoup plus sympathiques, car beaucoup plus sensés et utiles à la société.
Et, pourtant, Tolstoï réussit le tour de force de nous embarquer dans ce voyage au long cours que représente la lecture d’Anna Karénine, de nous faire espérer, gémir et souffrir avec ces personnages. On s’inquiète de l’enfant de Dolly malade, on se demande comment Anna va se sortir de cette situation inextricable. Et Kitty ? Fera-t-elle le choix du bonheur ? On ne peut plus s’arrêter, on dévore. Et au bout des 900 pages, on demanderait un deuxième tome. C'est ça, l'incroyable pouvoir de la littérature, l'immense génie des écrivains russes, qui m'étonnera toujours.