Annam est un court roman de soixante-dix pages publié par Christophe Bataille en 93. Il raconte la destinée d'une petite mission d'évangélisation qui s'installe au Vietnam en 1788, alors que le Royaume de France s'effondrera en oubliant ses ressortissants (pas si) perdus à l'autre bout de l'Asie du sud-est. Le court roman de Bataille aura donc pour ambition essentielle, dans une esthétique empruntant tour à tour au roman d'initiation et au roman d'aventure, de jeter un coup d'oeil symbolique sur la fin de vie de ses personnages qui s'acclimatent à une nouvelle vie dans un paradigme différent.
Annam n'est pas un roman exécrable en soi, et sa simplicité comme sa taille modeste ne lui permettent pas de toute façon de se perdre si loin. On pourrait bien sûr lui reprocher une langue assez répétitive et simpliste, avec une coupe importante d'un discours semblant vouloir se tenir comme règle de ne jamais employer la phrase complexe, et de concentrer la plupart de ses effets dans une convocation des couleurs assez basique – dire qu'une côte est orange et automnale demeure quelque peu limité pour prétendre que l'on est en train de poétiser son style.
Ce qui me rend chafouin dans ce livre qui se déroule aux temps du pré-romantisme, c'est qu'il essaie assez désespérément d'en singer le style comme la philosophie pauvre dans une approche de rédaction scolaire. Annam est une tentative bien trop lacunaire de convoquer un état de nature, édénique sans Dieu, où le bonheur sera à portée de doigts quand on se mettra à baiser dans une cabane en mangeant des fruits et en prenant bien soin de se tenir loin des préceptes religieux. On a déjà vu ça trop souvent, et si on peut comprendre l'émergence de cette pensée à la période où la philosophie du naturalisme (le premier, pas celui de Zola) se développe pour des raisons contextuellement compréhensibles, cela est particulièrement vain à copier deux siècles après la bataille dans un état et à destination d'un public sécularisé, déchristianisé.
Ce n'est pas vilain, Annam ; mais c'est une reprise athée dépouillée et faiblarde d'intrigues bien plus intéressantes et ambiguës que l'on peut aller pêcher ailleurs, dans n'importe quel grand film de jungle typiquement ou dans l'un de ces innombrables bons ouvrages qui utilisent une Babel / une montagne symbolique.