Ne suivant que de loin l'actualité des "grands" éditeurs français, j'ignorais que Cédric Gras avait écrit un roman sur la crise ukrainienne et la guerre du Donbass, publié en 2016 chez Stock. Sa récente réédition en poche m'a permis de le découvrir. Je n'ai pas hésité longtemps avant de me le procurer, ayant apprécié "Le Nord, c'est l'Est" du même auteur, tandis que "L'hiver aux trousses" patiente depuis quelques mois sur les étagères de ma bibliothèque.
Je connaissais donc Cédric Gras en tant qu'écrivain-voyageur, et finalement, cet "Anthracite" est moins un roman en bonne et due forme qu'un "récit de voyage fictif". L'intrigue, pour le moins minimaliste, n'a pas grand intérêt en elle-même : elle sert surtout de prétexte pour faire voyager le lecteur à travers le Donbass, cette extrémité orientale de l'Ukraine qui, à l'inverse du reste du pays en majorité agricole, vit de l'extraction du charbon et la métallurgie. L'ensemble est très didactique : le propos de l'auteur est clairement d'expliquer, d'instruire, d'informer. Ainsi il ne faudra pas s'étonner de voir de simples conversations s'étendre sur plus d'une dizaine de pages, non pas du fait d'un enchaînement de nombreuses répliques, mais parce que chacune d'entre elles donne l'occasion au narrateur de digresser sur un sujet, qu'il s'agisse de géopolitique, d'histoire, de culture, russe ou ukrainienne. La narration à la première personne est un procédé littéraire dont je ne suis pas friand, et pour le coup elle m'a semblé assez artificielle : la plupart du temps, il ne m'a pas semblé entendre la voix de Vladlen (drôle de prénom formé par la contraction de "Vladimir Lénine !"), quadragénaire ukrainien exerçant la profession de chef d'orchestre à Donetsk, mais plutôt celle du jeune écrivain-voyageur français spécialiste de la Russie, écrivant pour un public occidental. Les descriptions, notamment, ont un côté "compte-rendu" quasi journalistique qui ne colle pas avec le personnage du narrateur.
Malgré l'indéniable talent d'écriture de Cédric Gras, je ne suis pas encore tout à fait convaincu par ses talents de romancier, qui se révéleront peut-être dans un futur ouvrage moins basé sur son expérience d'écrivain-voyageur... Mais ayant pris le parti de lire "Anthracite" comme un ouvrage documentaire dans la lignée de "Le Nord, c'est l'Est", j'y ai largement trouvé mon compte. Passionné par la Russie et son histoire mais connaissant assez mal le Donbass, ce récit m'a permis de mieux appréhender la situation complexe de cette région. Cédric Gras dirigeait l'Alliance Française à Donetsk jusqu'à sa fermeture en 2014, date du début du conflit, il a donc été aux premières loges des événements. On notera que le narrateur, et donc l'auteur, garde une certaine neutralité dans sa vision des choses. Le roman est bien plus nuancé que la propagande qui nous est servie sur le sujet par nos médias : on n'a pas d'un côté les gentils démocrates pro-ukrainiens et pro-européens contre les méchants fascistes pro-russes, l'Ukraine apparaît pour ce qu'elle est désormais, une "case stratégique du jeu d'échecs" d'une nouvelle guerre froide...
En somme, pour peu que l'on recherche autre chose qu'une aventure trépidante telle que pourrait le faire croire sa quatrième de couverture, "Anthracite" est une lecture très intéressante et enrichissante sur une question d'actualité qui, indirectement, nous concerne tous en tant que citoyens européens.