L'Antidühring de Friedrich Engels est peut-être l'ouvrage le plus adapté au lecteur qui souhaiterait approfondir sa connaissance de la philosophie marxiste.
Face à cette couverture rouge vif d'une austérité exceptionnelle, il est nécessaire de garder son sang-froid et d'oser s'approcher de plus près. Dès les premières pages, dévoilant le sommaire de l'œuvre, on ne peut qu'être séduit par l'éclectisme des thèmes abordés et la variété des domaines de la connaissances parcourus : la philosophie et la science (philosophie de l'Univers, de la nature, du vivant, de la morale et du droit, théorie de l'évolution, exposé de la dialectique), l'économie (théorie de la valeur, de la plus-value, histoire des idées économiques), la politique (socialisme, théorie de l'Etat, production)…
Cette variété s'explique par le projet d'Engels, à savoir mettre en échec son adversaire politique, Eugen Dühring, sur tous les sujets qu'il aborde. Et le moins que l'on puisse dire, c'est qu'Engels ne lui laisse pas une miette de gloire. Il lui prend tout, lui arrache tout. Il entreprend de le ridiculiser méthodiquement, d'exposer ses contradictions au grand jour, et de dénoncer ses plagiats avec vigueur. N'ayons pas peur de dire que Dühring est une cible facile : quelques extraits bien choisis de ses écrits, même sans commentaires, suffisent amplement à le décrédibiliser. Il est le parangon du pédantisme, de l'orgueil, et de l'ingratitude. Il ne cesse d'insulter des penseurs qu'il tente de plagier ensuite avec une discrétion relative. Il y a clairement chez ce triste sire un complexe de divinité mal caché qui le pousse à se voir comme le nouveau Messie de la pensée venue sur Terre pour sauver les hommes.
Engels parvient sans mal à indiquer à son opposant la direction des poubelles de l'Histoire. Et à mon plus grand étonnement, la courtoisie et le respect ne sont pas de mise ici : la radicalité est poussée jusque dans l'attaque personnelle, et l'auteur redouble de finesse et d'humour pour offrir des traits d'esprits dignes des plus grandes punchlines des Rap Contenders. Et oui, je me suis surpris à rire en lisant l'Antidühring (rien que le titre est un peu rigolo).
Il profite surtout de cette leçon pour exposer le point de vue marxiste sur chacun des sujets abordés par Dühring. Ainsi l'Antidühring n'est pas simplement un grand clash, mais aussi un exposé clair et particulièrement didactique de la pensée du matérialisme dialectique. Engels, contrairement à son grand ami Marx, est un éminent pédagogue qui parvient à rendre intelligible des idées parfois très complexes. Les seuls chapitres contre lesquels ma compréhension a parfois trébuché étaient ceux traitant de l'économie, notamment à partir de l'exposé sur la théorie de la valeur.