Bonheur et valeurs

Certains ici parlent de la vision du bonheur totalement opposée qu'ont Créon et Antigone.
Celui de cette dernière serait dans l'excès, dans ses passions. Mais je ne suis pas d'accord.

Tout d'abord, car la description de la nature et du petit matin qu'elle fait dans la tout première scène laisse suggérer qu'elle est plutôt de ceux qui le trouvent dans les petites choses: "Tu crois que si on se levait comme cela tous les matins, ce serait tous les matins aussi beau, nourrice, d'être la première fille dehors?"
Mais aussi et surtout parce qu'Antigone est à des lieues du bonheur durant toute la pièce, tout au deuil de ses frères.

Cela dit, c'est incontestable que Créon et Antigone ont des conceptions de la vie complètement différentes.

L'un défend un avenir sûr et sans imprévus, préfère faire ce que l'on attend de lui (ou en tout cas ce qu'il pense être attendu de lui) plutôt que de se questionner réellement sur ce qui "est juste". L'autre, au contraire, sait ce qu'elle défend et est prête à se sacrifier pour ne pas mettre à mal ses valeurs et ses convictions.

Alors oui, elle est révoltée, obstinée quand son oncle essaie de la raisonner et de négocier avec elle. Et oui, ce sont peut-être des caractéristiques qui vont avec son âge.

Mais à mon sens, c'est un personnage qui est bien plus que la crise d'adolescence par laquelle elle est peut-être en train de passer: elle agit en conséquence de ce qu'elle considère juste, et ceci avec beaucoup de maturité et de courage, assumant les conséquences de ses actes.

Et peut-être qu'elle meurt inutilement, laissant le monde et les opinions de ceux qui l'entourent inchangés. Mais ce n'est pas sottise que d'agir à son échelle ou que de savoir qu'on ne pourrait se regarder en face le reste de sa vie si on agit autrement:

Quel sera-t-il, mon bonheur? Quelle femme heureuse deviendra-t-elle, la petite Antigone? Quelles pauvretés faudra-t-il qu'elle fasse elle aussi, jour par jour, pour arracher avec ses dents son petit lambeau de bonheur? Dites, à qui devra-t-elle mentir, à qui sourire, à qui se vendre? Qui devra-t-elle laisser mourir en détournant le regard?