La lumière Antigone, par Henry Bauchau
Après son Œdipe sur la route, centré Œdipe et son périple mais aussi sur le couple Œdipe/Antigone, Henry Bauchau nous convie cette fois à suivre une aventure qui, tout en nous faisant croiser le destin de nombreux personnages, tourne autour d’un seul : Antigone.
Ce second volume de la trilogie que Bauchau consacre aux mythes antiques (le troisième volume s’intitule Diotime et les lions) est la suite immédiate du premier : nous avions quitté Antigone avançant vers Thèbes accompagnée de Clios ; nous la retrouvons faisant ses adieux à son compagnon et retournant dans la ville maudite.
Ainsi, après avoir marché lui aussi avec Antigone et appris peu à peu à la connaître, le lecteur pénètre à présent dans son univers : dans sa ville (la majeure partie du roman se déroule dans les murs de Thèbes), dans son passé (le récit est jalonné de souvenirs d’épisodes de l’enfance), dans sa famille (ses frères Etéocle et Polynice, sa soeur Ismène, son oncle Créon et son cousin Hémon sont parmi les personnages secondaires majeurs ; et Jocaste, l’omniprésente absente). Mais surtout, le lecteur pénètre dans la tête d’Antigone et dans son intimité : c’est en effet la première personne que Bauchau a choisie pour cette nouvelle narration, et il s’en sert pour mettre en avant chacun des sentiments et chacune des pulsions qui traversent son héroïne.
Antigone revient donc à Thèbes ; si l’accueil est au départ un peu froid, elle retrouve assez vite une forme de quotidien : une maison, une vie familiale, un ami en la personne de K., une fonction et rôle social puisqu’elle devient soigneuse des personnes dans le besoin. Mais très vite les grandes passions se déchainent de nouveau, et Antigone est bien vite rattrapée par ce qu’elle était revenue essayer d’empêcher : l’affrontement entre ses deux frères Etéocle et Polynice. Sous les dehors d’un affrontement pour le pouvoir sur Thèbes, c’est en réalité aussi voire surtout une querelle entre deux jumeaux autour de l’amour reçu de la part de Jocaste. Le rapport et les liens des fils à leur mère, qui se poursuivent donc au-delà de la mort de cette dernière, sont en quelque sorte la matrice de l’ouvrage.
Les thématiques freudiennes sont en effet fort prégnantes dans cet opus – on reconnaît là Bauchau le psychanalyste-, sans doute plus encore que dans le précédent. Il y a l’amour des fils pour leur mère, la préférence de la mère pour l’un d’eux, et l’impact que cela peut avoir sur les enfants. Polynice, l’enfant préféré, s’est en effet mué en un adulte lumineux, étincelant, avec les beautés mais aussi les malheurs peuvent faire naître les étincelles : il est également colérique, impatient, impétueux. Etéocle, le mal aimé, est quant à lui plus sombre, plus torturé, mais aussi plus calme et plus réfléchi. En dépit de cette rivalité qui vire parfois à la haine, les deux frères ne cachent pourtant à aucun moment le profond amour qu’ils se vouent ainsi que le grand respect qu’ils ont l’un pour l’autre.
Mais il y a aussi, d’importance moindre dans l’ouvrage mais tout de même présente en fil rouge, la relation entre les deux sœurs, dont le pivot est à la fois la tendresse de leur enfance, et la souffrance d’Ismène lié au sentiment d’abandon lorsque son père et sa sœur sont partis sur la route et l’ont laissée. Le trio amoureux parent-enfants, aux conséquences cette fois moins violentes, n’en reste pas moins essentiel.
Enfin, on retrouve deux éléments centraux des grands récits mythologiques : le force du destin, et la lutte pour le pouvoir.
Le destin tout d’abord, contre lequel nul ne peut lutter. Il y a ceux qui semble-t-il ont renoncé à lutter : Etéocle et Polynice ont comme accepté qu’aucun d’eux deux ne saurait sortir vainqueur, mais se précipitent tout de même vers l’affrontement, comme si ce destin devait être accompli ; Ismène, qui pense que personne ne pourra stopper la folie de ses frères, et qui tente de construire de son côté son propre destin. Et il y a ceux qui veulent tout de même essayer d’y croire : Antigone, qui tente jusqu’au bout de réconcilier ses frères ; et Hémon, avec lequel elle veut essayer de croire qu’un avenir est possible. Et puis il y a les autres, les personnages secondaires et les anonymes, prisonniers du destin des puissants.
La lutte pour le pouvoir enfin, fait entrer en scène un autre personnage, peu présent physiquement mais dont le poids est essentiel : Créon, pierre qui jamais ne vacille dans le tourbillon qui agite la ville, et qui espère s’imposer aux commandes de la ville.
Nous adresserons ici le même reproche à cette Antigone que précédemment à Œdipe sur la route : si l’on apprécie la plume douce de Bauchau, trop de lyrisme et trop de poésie nuisent (parfois) à la fluidité de l’écriture et peuvent générer de la lassitude.
Mais au fond qu’importe ; on se prend, à nouveau, au jeu du suivi quotidien des personnages, au jeu de cette immersion à laquelle Bauchau nous convie, qui sait si bien alterner entre moments grandioses et intimité, entre facette de lumière et facette sombre de ses personnages. Et on en vient même à espérer que cette fin, que pourtant l’on connaît, soit différente.
Léa Breton