Antigone est un sublime ouvrage.
Henry Bauchau y exprime pleinement son talent de conteur. Et s'il refuse le titre de philosophe, le témoignage émouvant de la fille qui dit "non" nous instruit à sa manière sur le sens de notre existence.
Evidemment, à bien des égards, le roman prend des libertés par rapport au mythe.
Il se focalise surtout autant sur la relation d'Antigone avec sa sœur que sur la relation d'amour et de haine qui lie les 2 frères rivaux.
Sur le roman lui-même
Bauchau y trouve (prouve) ses talents d'écriture et de narration grâce notamment à ses phrases courtes et nerveuses.
On y relèvera le point de vue multiple des interlocuteurs. Souvent l'écrivain conte l'histoire à la 3ème personne du singulier. Et parfois, il décide de prendre le parti d'un personnage à travers le "je". Sans prévenir et dans un système qui fonctionne parfaitement, il crée un mécanisme d'identification avec les pensées et émotions du protagoniste concerné.
Sur Antigone
Elle se révèle être :
- femme : plusieurs fois, elle s'associe à son sexe et pointe ce que cela génère (« à cause de mon sexe de femme ») ;
- femme aimante et aimée : de Hémon mais pas seulement. Solaire, elle attire charnellement de multiples et d'improbables prétendants ;
- personnage d'action et de société : elle prend en main la sauvegarde de l'unité et de la santé du "petit peuple" de Thèbes ;
- entêtée et fidèle à ses valeurs : au-delà du mythe, elle affirme constamment son indépendance et sa capacité à décider seule de son sort.
L'écrivain propose donc la lecture d'une femme moderne et féminine (féministe ?!).
Un mot sur la fin et sur l'art de philosopher
Sans révéler la conclusion de l'ouvrage, on peut y relever à la fois :
- une originalité de Bauchau (comme la création de certains personnages ou d'épisodes)
- une réinterprétation du mythe d'Antigone, qui renouvelle l'archétype de celle qui dit "non"
- une approche dramatique d'un conte qui permet d'approfondir l'intériorité de l'héroïne mais aussi de créer un effet flashback comme le cinéma le fait souvent (le film de sa vie se déroule devant soi).
Par là même, il réinvente l'aspect philosophique qui entoure traditionnellement le personnage d'Antigone.
Ce "non" - tout comme le "oui" de Créon n'est plus tout à fait le même : il devient plus humain/féminin, plus simple/spontané et plus sociétal/social.
Il nous pousse donc à raisonner différemment le mythe fondateur : celui de s'opposer à l'autorité (de son sort, du pouvoir...)
En résumé un roman aussi prenant sur le fond qu'intéressant sur la forme.