Le livre repose sur une double mystification. La première est consciente puisque l’auteur admet avoir nommé son ouvrage « apocalypse » dans l’espoir que ce titre soit compris comme un récit eschatologique, d’une destruction des capacités attention liée à la multiplication des sollicitations, alors que l’ « apocalypse » ici promise est en fait la « révélation » d’un trésor attentionnel. Si la remise en perspective historique qui aboutit à cette conclusion est intéressante, la conclusion qu’une augmentation exponentielle du temps de cerveau disponible pourrait mathématiquement aboutir à une augmentation globale des connaissances et de la rationnalité en dehors de tout contexte historique, économique et social est pour le moins naïve.
La seconde mystification du livre, qui est plus grave, est inconsciente. L’auteur constate la confiscation de ce trésor attentionnel (merci, on avait remarqué qu’Instagram, Twitter et Facebook étaient pas des fabriques à génies). Il en fait porter l’entière responsabilité sur des caractéristiques anthropologiques certes intéressantes (quoique noyées dans des pseudo-justications neurobiologiques niveau Ca m’intéresse) mais déconnectées de tout déterminisme social et économique. Il fait donc l’impasse sur les véritables causes de ce viol permanent des capacités cognitives de la planète et cite même les gentils ingénieurs de Facebook et Google pour la qualité de leurs études.
Par paresse ou ignorance il n’offre donc aucun début de solution ou de contre-modèle au problème qu’il vient de soulever. Cela relève de mon point de vue d’un parti pris idéologique. L’auteur met dos à dos les populismes et l’écologie radicale sur des arguments totalement contre-factuels dans un second cas : les théories de la décroissance seraient déconnectées de la rationalité et feraient appel à un idéal néo-rousseauiste. Cette affirmation relève d’une caricature et ne permet pas de penser la problématique attentionnelle de manière neuve ou constructive. Elle révèle cependant les biais d’interprétation de son auteur qui confond progrès technique et progrès humain.
Une voie médiane doit être tracée entre les tenants d’une décroissance individualiste ou néo-collectiviste à basse échelle et les forcenés de la croissance technologique à tout prix, beni oui-oui du capitalisme vert. On ne peut pas dire que l’auteur y aide et en plus il se trompe de cible.
Lire Shohana Zuboff et Evgeni Morozov semble beaucoup plus fertile pour la pensée.