Le livre est fondamentalement réussi car il est multidimensionnel. Une approche d'abord personnelle de la vie de l'auteur Philippe Besson (peut-être la moins intéressante, encore que), une dimension d'une histoire d'amour sans mièvrerie dont on se demande même si elle sincère (du coté de Thomas Andrieux, l'utilise-t-il parce qu'il est le seul gay du village ?) avec des rebondissements et une dimension macro-sociétale sur la condition homosexuelle dans la condition des petites classes sociales dans les années 1980. Le résumé est simple : un jeune garçon fils d'instituteur d'un village de province, intellectuel, féminin tombe amoureux fou d'un autre garçon aux allures sauvages, paysannes mais parfaitement sensuelles. Fils d'un fermier et d'une Espagnole, il n'avouera jamais à personne son penchant en continuant à faire l'amour à "l'auteur" dans des rendez-vous clandestins. Peu à peu, leurs destinées se séparent, tragiquement.


Ce qui m'intéresse le plus est le sujet de l'homosexualité dans les classes sociales : la capacité de l'élite à s'assumer et l'incapacité des plus pauvres à le faire, et finissant souvent par commettre l'irréparable. On a une vision de l'acceptation de l'homosexualité au niveau du temps, c'est-à-dire "qu'avant c'était moins bien que maintenant". En fait, la réalité est plus complexe, l'homosexualité a toujours été peu ou prou acceptée dans les hautes classes sociales et ne l'a jamais été, voire toujours maintenant d'ailleurs, accepté dans des milieux plus défavorisés. Cette histoire d'amour, qui ne peut être réalisable qu'avec de jeunes garçons (parce que finalement les couples gays eux aussi sont homogamiques) se heurte à la réalité sociale, aux tabous paysans, à l'emprise de l'Eglise catholique sur une partie de la classe sociale la plus miséreuse et à la peur de se montrer tel que l'on est. Thomas Andrieux dira dans cette salle de cinéma, en parlant d'un film montrant l'homosexualité de la manière la plus crue : "c'est pas ça". On sent le poids de l'interdit, de l'impossibilité, de l'irrévocabilité de la sentence terrible : leur histoire n'est pas possible, elle ne le sera jamais.


C'est finalement l'histoire d'une vie brisée, d'un destin annihilé par la dépression, la mélancolie et le poids d'un mauvais choix. Le style est agréable, bien que très peu académique (ça vaudra mon point en moins), l'auteur nous mène de révélations en révélations jusqu'à nous extirper quelques larmes après la lecture de la dernière lettre de Thomas à l'auteur. Ensuite, le livre est court, il ne méritait pas des pages en plus. Surtout, et c'est là peut-être la clef de la réussité, le baume au coeur : on ne sait si l'histoire est vraiment réelle car l'auteur l'insinue tout au long du roman, il a peut être transformé en amour ce qui était une "obsession érotique". Et vu sous ce prisme, le livre nous parait plus complexe. N'est ce que l'histoire d'un homme sentimental et nostalgique de sa province ? Ou une certaine volonté de donner ses lettres de noblesses à la littérature homosexuelle ? En tout cas, notre coeur est mise à rude épreuve par cette lecture et elle ne nous laisse pas tout à fait indemne.

PaulStaes
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le 30 juin 2017

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Paul Staes

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