Titre mensonger
Au bon roman n'est pas un si bon roman que çà. La langue est prétentieuse, le contenu pédant. C'est également très bavard, un défaut hélas de plus en plus courant : consacrer trois pages à quelque...
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le 24 juil. 2011
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Ivan et Francesca ont projeté de monter la librairie idéale. Pour ce faire, ils ont élaboré un comité secret composé de 8 personnes ignorant chacune l'identité des 7 autres. Chargées à l'origine de dresser leur liste subjective et personnelle des 600 premiers ouvrages pouvant être, à leur sens, érigés au rang de chefs d'œuvre de la littérature, plusieurs d'entre elles vont être victimes de menaces à propos de leur participation au comité ainsi qu'à la mise en place d'Au Bon Roman, la librairie d'Ivan et Francesca. Souhaitant mettre à l'abri les membres ayant contribué à leur projet et préserver par ailleurs leur secret, les deux comparses vont être forcés de faire appel à un employé de la police judiciaire pour lui faire part de leur problème.
Si j'ai choisi ce livre, c'est par pur masochisme. Après m'être débattue avec Pennac et son chapitre « Le droit de lire n'importe quoi » (Comme un roman) que j'avais jugé injuste et obtus, j'ai estimé intéressant de voir si Laurence Cossé m'inspirait, elle aussi, des envies belliqueuses...
Ce fut vite vu...
Tout d'abord, on comprend assez vite que la librairie Au Bon Roman est l'ouvrage de deux personnes furieusement pédantes dont la compagnie rebuterait plus d'un quidam :
« - Je suis en train de faire de tête la liste de tous les romanciers français du 20e siècle qui devraient être représentés, cela
va vite. Proust, Colette, Cendrars, Segalen, Renard, Gide, Drieu,
Céline, Aragon, Giono, Bernanos, Malraux, Mauriac, Gracq, ...
- Vous citez les plus célèbres, dit Van. Pensez aussi à Calet,Dietrich, Fargue, Jouhandeau, Reverzy, Bove, Vialatte... Sur
quatre siècles, nous n'allons avoir aucun mal à trouver cent cinquante
ou deux cents très grands auteurs français. Et pour beaucoup, il va
être impensable de s'en tenir à un seul titre. Je ne vois pas comment
faire autrement que retenir tout Stendhal, tout Flaubert, dix Balzac
au moins, dix Zola...
- Plus près de nous aussi, on a l'embarras du choix, opinait Francesca. Je pense à tous les romans parus en français depuis vingt
ans que j'adore, il y en a énormément, entre Modiano, Michon,
Laurrent, Gailly, Echenoz, Oster, Bobin, les deux Rolin, Grenier,
Roubaud, Rio, Bianciotti, Benoziglio, Bergounioux, Deville,
Laclavetine, Cholodenko,Visage, Rousseau, Raphaële Billetdoux, Sylvie
Germain, Annie Ernaux, Régine Detambel, Nicole Caligaris, Maryline
Desbiolles – elle reprit sa respiration – Carrère, Millet, Chevillard,
Holder, di Nota... » (p. 102-103)
Le livre de Cossé présente par ailleurs une importante quantité de dialogues (moi qui suis loin d'être une adepte du style direct dans les romans, c'était encore bien ma veine !) qui ont pour fâcheuse caractéristique de transpirer l'artifice et l'affectation.
Les échanges entre les personnages d'Au Bon Roman manquent en effet à ce point de naturel qu'ils ont tantôt l'aspect de joutes oratoires visant à exacerber l'autosatisfaction des intervenants...
« - [...] Dans ces moments-là, il se console, ou plutôt se distrait dans l'alcool, au sens le plus tragique du mot distraire.
- Dis-trahere, dit Armel : il demande à l'alcool de le soustraire à lui-même
- Je reconnais le latiniste, sourit Van. Ces derniers mois, Brother a trouvé l'oubli dans l'alcool et peu d'espoir chez Stendhal.
Tout le monde sait que la Chartreuse de Parme a été écrite en
cinquante-deux jours, juste avant Noël 1838. » (p. 42)
*
« - Nous avons huit grands romanciers à choisir, posa Francesca.
- Grands prosateurs.
- Huit thuriféraires du roman, que le chiffre de six cents titres n'effraiera pas. » (p. 104)
... tantôt l'allure de médiocres interviews :
« -Francesca, à l'instant vous avez fait allusion à l'amour des livres qu'on vous a transmis. Vous pensiez à votre grand-père? Vous
deviez me reparler de lui. » (p. 161)
Mais que je cesse enfin de m'attarder sur la forme de ce roman. Venons-en au contenu :
Comme évoqué ci-dessus, les initiateurs de la librairie, Ivan et Francesca, rassemblent un comité de 8 personnes dont chacune a pour mission de livrer SA liste de merveilles de la littérature mondiale, composée de 600 ouvrages.
Ça n'a beau être qu'une fiction, j'avoue n'avoir pas pu m'empêcher d'en découdre avec cette information tout au long de ma lecture. Ce roman se veut d'être pris au sérieux alors qu'il exploite, dès le début du roman, un fil rouge incroyablement absurde.
En effet, qui, dans sa vie, peut prétendre dresser une liste des 600 meilleurs romans?
Pour m'assurer du fait que cette entreprise était bel et bien extravagante, j'ai effectué deux-trois petits calculs...
Prenons mon propre exemple : sur 140 lectures, il n'en est que 2 que j'encense véritablement.
J'ai d'abord cru que je devais être infiniment difficile, jusqu'à ce qu'un extrait du livre approuve ma proportion de romans appréciés.
« C'est ce que j'ai fait à Méribel des années : lire cinq ou six cents livres pour en retenir dix. » (p. 160)
Combien donc faudrait-il avoir lu de livres dans sa vie pour pouvoir énumérer 600 chefs d'oeuvres? Oui oui : 36 000, ce qui équivaut à environ 1 livre par jour pendant 100 ans.
Or, à supposer que le lecteur se mette à lire à 15 ans et qu'il ait lu pendant 40 ans (les membres du comité se situant pour une majorité dans la « fleur de l'âge »), cela reviendrait à lire pas moins de 2,5 bouquins par jour.
Or, Francesca (quinquagénaire?), qui s'est elle-même soumise à l'inventaire de son top-hit des 600, est la riche héritière d'un grand père qui lui a légué sa bibliothèque dont elle n'a choisi de découvrir fiévreusement le contenu que tardivement (vers la trentaine) ou Anne-Marie Montbrun, une mère instit (quarantenaire ?) doivent avoir découvert autant de livres en un minimum plausible de 20 années, ce qui reviendrait à l'exploit d'une découverte de 5 livres par jour...
Bien sûr, le défi est relevable pour autant qu'on ose prétendre pouvoir estimer la qualité d'un roman en en lisant les 20 premières pages uniquement...
« -Soyons honnêtes, on peut faire une sélection sérieuse sans s'appuyer tous les livres de A à Z. Pour quatre-vingt pour cent
d'entre eux, lire les vingt premières pages suffit. Les habitués des
librairies le savent bien : que font-ils d'autre, en feuilletant? »
(p. 161)
... Mais QUI osera jamais reléguer une œuvre au rang des MAUVAIS ROMANS après en avoir lu seulement 20 pages?
« Il avait acquis un discernement formidable. Dans les deux premières pages, il repérait le très bon livre. Celui-là, il le lisait
en entier. Les autres, il leur consacrait ni plus ni plus ni moins le
temps qu'ils méritaient, trois minutes pour la pseudo enquête du
journaliste gonflant un article déjà paru, cinq pour le pavé dans
lequel il était évident qu'on ne trouverait pas qu'une phrase à noter,
un quart d'heure pour le roman attendu – au deux sens du terme – de
l'auteur exploitant sans risque sa réputation en récrivant toujours le
même opus. » (p. 78)
...Pas moi en tout cas.
Au Bon Roman est un prétexte. Un prétexte pour Laurence Cossé d'exprimer ses goûts en matière de littérature ainsi que ses opinions quant au monde de l'édition et de la librairie.
Il va sans dire, ce roman se serait drôlement mieux plu dans la peau d'un essai. Mais c'est un roman, et on l'a pris comme il venait . Dommage qu'il ait été, selon moi, à mille lieues d'être lui-même ce que l'auteure appelle « un bon roman ».
Créée
le 10 janv. 2011
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