Précepte premier : ne pas lire la quatrième de couverture(*) de ce fichu bouquin.
(*) « François pensa : si elle commande un déca, je me lève et je m'en vais. C'est la boisson la moins conviviale qui soit. Un thé, ce n'est guère mieux. On sent qu'on va passer des dimanches après-midi à regarder la télévision. Ou pire : chez les beaux-parents. Finalement, il se dit qu'un jus ça serait bien. Oui, un jus, c'est sympathique. C'est convivial et pas trop agressif. On sent la fille douce et équilibrée. Mais quel jus ? Mieux vaut esquiver les grands classiques : évitons la pomme ou l'orange, trop vu. Il faut être un tout petit peu original, sans être toutefois excentrique. La papaye ou la goyave, ça fait peur. Le jus d'abricot, ça serait parfait. Si elle choisit ça, je l'épouse...
– Je vais prendre un jus... Un jus d'abricot, je crois, répondit Nathalie.
Il la regarda comme si elle était une effraction de la réalité. »
On s'attend à un roman doux et sucré comme une petite friandise ou un jus d'abricot. On s'attend à une rencontre, à un rapprochement, à une explosion de couleurs. Hein oui? Eh ben non.
Que je vous raconte – en septante pages, pas plus – l'amorce de ce bouquin :
François rencontre Nathalie au détour d'une rue, ils vont boire un verre (p. 11). Puis ils se marient (p. 20). Au bout de sept années de parfaite harmonie, François décède à la suite d'un accident (p. 36). Nathalie est éplorée. Séduit en secret depuis leur rencontre, Charles, son patron, profite du chagrin et de la vulnérabilité de cette dernière pour tenter une approche (p. 50). Après avoir refusé explicitement ses avances (p. 60), Nathalie va s'intéresser à un collègue de travail discret et ordinaire répondant au nom de Markus (p. 74)...
Dans ce roman, David Foenkinos entend sans doute déjouer les tristes désillusions qui envahissent l'esprit de toute personne essuyant un deuil : celui de l'être aimé. La délicatesse aborde avec humour et légèreté la faisabilité d'un renouveau, principalement amoureux.
Ne nous y méprenons pas. A moins d'être d'un optimisme grotesque, ce roman n'a rien de thérapeutique. La rapidité à laquelle se font les choses a d'ailleurs de quoi provoquer en l'individu concerné (mais pas seulement) quelques effets indésirables. La nausée et les vomissements, par exemple.
Les chapitres sont courts et entrecoupés de petites annotations / chansons / dictons / citations / commentaires qui aèrent la lecture ou bouchent les trous, c'est selon (personnellement, j'ai trouvé ces petites additions passablement lourdingues) ; le roman est parsemé de notes de bas de page où est distillé une espèce d'humour gentil et propret – cuicui-, les enchaînements et la progression de l'intrigue sont ultra-rapides et la psychologie des personnages est par conséquent d'une platitude abominable (quand Foenkinos aurait-il pu trouver le temps de donner chair à ses Monsieur-Madame avec cette fulgurante succession des faits, je vous le demande?).
En conclusion, l'excès de légèreté nuit gravement à la substance.
J'ai trouvé le contenu de ce roman si futile et harassant que je l'ai abandonné à mi-chemin. Je ne comprends pas ce qui lui a valu ce torrent de prix littéraires (pas moins de dix début 2011 !).
Allez, je vous partage le « meilleur » extrait, rien que pour rigoler :
« Je viens vous voir pour le dossier 114 », dit-il.
Fallait-il qu'en plus de son étrange apparence il prononce des phrases aussi stupides? Nathalie n'avait aucune envie de travailler aujourd'hui. C'était la première fois depuis si longtemps. Elle se sentait comme désespérée : elle aurait presque pu partir en vacances à Uppsala, c'est dire. Il la regardait, avec émerveillement. Pour lui, Nathalie représentait cette sorte de féminité inaccessible, doublée du fantasme que certains développent à l'endroit de tout supérieur hiérarchique, de tout être en position de les dominer. Elle décida alors de marcher vers lui, de marcher lentement, vraiment lentement. On aurait presque eu le temps de lire un roman pendant cette avancée. Elle ne semblait pas vouloir s'arrêter, si bien qu'elle se retrouva tout près du visage de Markus, si proche que leurs nez se touchèrent. Le Suédois ne respirait plus. Que lui voulait-elle? Il n'eut pas le temps de formuler plus longtemps cette question dans sa tête, car elle se mit à l'embrasser vigoureusement. Un long baiser intense, de cette intensité adolescente. Puis subitement, elle recula :
« Pour le dossier 114, nous verrons plus tard. » (p. 74)
C'est beau, hein?