On ne compte plus les récits sur la Grande guerre, ses tranchées, ses rats, sa correspondance, ses héros, ses victimes. Ce qui explique peut-être la grande exigence que l'on a envers tout nouveau roman prenant cette époque pour théâtre. Au revoir là-haut se distingue pourtant dès son entame. Surtout, finalement, dans son entame. Avec un style direct, familier mais recherché, Pierre Lemaître nous asphyxie avec son héros lorsqu'il se retrouve sous terre - et vivant - en pleine scène de guerre. Cette tête de cheval putride, qui le hantera tout le long, symbolise l'aspect ordurier et puant de la guerre que Lemaître a souhaité mettre en avant. Des corps qu'on laisse pourrir au grand jour, comme celui d'Edouard. D'autres qu'on glorifie justement parce qu'on ne les voit plus, parce qu'ils n'existent plus physiquement, si ce n'est à travers ces cadavres que l'on maltraite tout autant. On est si facilement pacifiste et, pourtant, on le dit si rarement. Lemaître parvient à l'exprimer avec subtilité et force à travers l'escroquerie d'Albert et d'Edouard. Celui-ci la considère d'ailleurs plus comme un geste artistique. Un happening monumental. Malheureusement, le récit s'essouffle un peu au fil des pages. Même le style devient plus paresseux, cédant progressivement à la nécessité de faire avancer l'intrigue. Les personnages sont inégaux, parfois caricaturaux - oh le grand méchant Pradelle - parfois très intéressants, comme Madeleine. Pas étonnant d'ailleurs qu'il l'ait choisie comme héroïne pour la suite. Au revoir là-haut aurait pu être un grand livre, il l'est d'ailleurs à certains égards, mais la démarche reste inaboutie à mes yeux.