Le premier livre de Damasio, La Zone du dehors est une excellente dystopie dans le genre de 1984 dont la critique se focalise essentiellement sur la "démocratie" (entre guillemet, car j'ai vraiment beaucoup de mal de ne pas grincer des dents lorsqu'on nomme notre système politique sous le vocable de démocratie; on est déjà dans de la novlangue Orwellienne), très inspiré des thèses de Gilles Deleuze (et donc en partie de Michel Foucault), et déjà écrit dans un style absolument fabuleux.
Avec son second livre, le génial La Horde du Contrevent, Damasio affine encore toutes ses influences pour créer une des œuvres les plus fortes qu'il m'ait été donné de lire dans le domaine de la littérature de l'imaginaire. Moins frontal, plus subtil que la Zone, plus poétique, prenant des chemins détourné pour aborder des thèmes similaires.
Si je vous parle des deux romans précédent ce recueil de nouvelles, c'est qu'il est intéressant de remarquer que les récits qu'il contient tendent vers l'un ou l'autre de ces romans. Une partie des nouvelles sont à lire sous le sceau de la dystopie critiquant avec virulence une forme de mondialisation et un capitalisme que Damasio semble tenir en sainte horreur (dans mes bras mon gros loup) , une autre partie tiens plus de la fantasy poétique tirant parfois ses influences du surréalisme.
Toutes les nouvelles ayant en commun une écriture de haute volée, une reconstruction de la langue, un jeu permanent avec celle-ci. Parfois Damasio peut tomber dans une forme d'élitisme, voir même de pédanterie littéraire. On peut s'agacer de ses tournures alambiquées, d'une grammaire parfois byzantine, d'une volonté de faire absolument dans l'originalité littéraire, mais on lui pardonne a peu près tout tant certaines phrases, tournures syntaxiques, utilisations peu courantes de la conjugaison, néologismes brillants plein d'ironie,... vous font presque frissonner.
Le recueil est composé de 10 nouvelles. Je vais essayer de vous résumer ce que je considère comme les pépites de ce recueil, même si l'ensemble est très cohérent et qu'aucune de ces nouvelles n'est véritablement en dessous.
Les hauts parleurs: Où les mots, le vocabulaire, a été privatisé, et où on vous demande des royalties si vous employez des mots propriétaires plutôt que le corpus commun forcément si pauvre qu'il vous interdit de développer la moindre idée. Dans ce monde, des espèces de poètes appelés les hauts parleurs réinventent le langage afin de passer au delà des limites du vocabulaire gratuit imposé par le système. Peut être l'une des deux meilleures nouvelles de ce recueil. Damasio s'en donne à cœur joie dans la construction/déconstruction du langage, mais en profite également pour porter les coups les plus lourds possible à l'idée du copyright en poussant l'idée dans une hyperbole absurde (pas moins néanmoins que de breveter le vivant si vous voulez mon avis).
C@ptch@: Les enfants participent à un jeu mortel, sorte de parcours d'obstacle dans une ville tentaculaire dont l'issue est la désintégration du corps et l'intégration des données de l'individu au sein du monde virtuel. Un groupe d'enfants se révolte face à cet ersatz de vie qu'on leur propose, et ils vont essayer de quitter la ville pour ne jamais devenir des "vatars".
So phare away: où la dernière ville des hommes est régulièrement submergée par des vagues de béton liquide finissant par se durcir, et ou l'information est diffusée sous forme de code lumineux lancé par une nappe incalculable de phares, métaphore évidente de notre monde croulant sous la pollution, et surchargé par tant d'informations qu'elles finissent par ne plus être signifiantes.
El Levir et le livre: Un homme se met en quête d'écrire le livre, dont chaque mot doit être écrit de plus en plus grand, sur une surface de plus en plus gigantesque. Peut-être est-ce aussi un peu Damasio regardant sa propre mégalomanie littéraire. Il n'empêche qu'on se laisse emporter.
Sam va mieux: Le récit le plus touchant de ce recueil. Une histoire du dernier survivant et de son enfant. Un homme qui cherche pour combler son manque de contact humain à faire parler le vent et la pluie, à les faire articuler des mots. Une belle nouvelle sur la solitude, et la folie qu'elle peut engendrer.
Livre après livre, Damasio construit un univers fou, mais ayant sa cohérence interne, et je dois avouer que j’attends avec impatience de lire Les Furtifs, ouvrage sur lequel il travaille depuis 4 ans.