Est-ce possible de tomber encore plus en amour d'une oeuvre en la relisant ? Pour moi oui.
Les mots me manquent pour décrire le romanesque et la fougue que dégage ce roman. Quel plaisir de se sentir autant investie et accrochée à un récit !
Par cette relecture, je me suis rendue compte de la complexité du monde de Mitchell, avec ses personnages tellement ambiguës qu'on ne peut prendre leurs déclarations au pied de la lettre: tel personnage a des pensées racistes, tel autre annonce de but en blanc qu'il aspirait à libérer les esclaves de la plantation de son père. Ou encore, untel va avoir des remarques misogynes, un autre va contrebalancer cette vision archaïque. Le lecteur découvre un vrai petit microcosme de personnages nuancés, attachants, antipathiques, au destin plus ou moins tragique. Noirs comme blancs, riches comme pauvres, Nordistes comme Sudistes, Mitchell n'épargne personne sous sa plume.
Les personnages nostalgiques de la Cause Sudiste sont décrits comme des apathiques assistés pendant une partie du récit. En bons arrivistes narcissiques, Rhett et Scarlett ne sont cependant pas mieux lotis. S'ils choisissent délibérément de sacrifier leur réputation, leur amabilité au profit de leurs propres intérêts, la chute inévitable arrive. Et elle fait mal. La rédemption arrive tardivement et à demi-mot. La romance Scarlett et Rhett est addictive, malsaine, passionnée...tragique. Comme très joliment écrit à propos de Scarlett: "Si elle avait compris Ashley, elle se serait détournée de lui. Si elle avait compris Rhett, il ne serait jamais parti".
Parlons de Scarlett. C'est un personnage remarquable par le sans filtre vaniteux et égoïste de sa vraie nature, celle qu'elle cache si bien aux yeux des autres à part Rhett. C'est rafraîchissant de suivre une héroïne qui n'est pas une Mary Sue ou tellement emplie de bonté et de bons sentiments que ça devient vite écœurant. La dynamique de sa relation avec Melanie fait partie des éléments clés du récit et ajoute du sel à l'intrigue. Scarlett déteste travailler à l'hôpital, n'a pas d'instinct maternel et a un esprit pragmatique à toute épreuve. Elle a un esprit survivaliste qui la rend apte à vite rebondir et à ne pas se laisser apitoyer alors que tout son monde confortable et les valeurs inculquées s'écroulent en quelques semaines. Jadis Belle capricieuse du Sud, Scarlett se retrouve avec des ampoules, des blessures, des muscles douloureux, le visage émacié et même des brûlures. On compte sur elle, elle qui a les épaules solides et un tempérament de feu.
Oui, il y a des répliques et des passages éminemment racistes qui auraient pu être évités. Oui, ça fait grincer des dents le lecteur averti de 2020. Oui, on constate avec bonheur qu'on a fait du chemin. Mais cette fresque littéraire est bien plus que cela. C'est une narration vaste, une déclaration d'amour à la terre et à la rage de vivre. Qu'importe si ça soit du côté d'une civilisation détestable selon nos critères, on se sent transporté, investi du malheur de la guerre vaine et perdue d'avance. La description de la guerre de sécession point de vue sudiste est trépidante et on suit avec avidité les avancées des combats, jusqu'à la fatalité du siège d'Atlanta.
Cette oeuvre extraordinaire demeurera à jamais un grand classique de la littérature (n'en déplaise à certains).
Merci mille fois Gallmeister pour avoir ressorti ce chef-d'oeuvre dans une nouvelle traduction fluide et moderne.