Tome 1
Qu’est-ce qui fait qu’un roman devient une œuvre mythique ? A quelle secrète alchimie se prête son auteur pour que chacune de ses phrases vous chavire l’âme ?
"Autant en emporte le vent" fait sans conteste partie de ces œuvres légendaires qui ont toutes les chances de traverser la vaste histoire de la littérature. Bien que colossal, le roman se lit avec une facilité déconcertante, il aimante, il imprègne, il entraîne son lecteur dans un tourbillon aux mille couleurs, celles des crinolines, et celles des uniformes ; celles des jours heureux, et celles des jours sanglants.
Ce premier tome - dû au découpage de l’éditeur Gallimard - cible les trois premiers temps forts de la vie de Scarlett, sans doute l’héroïne la plus complexe de la littérature mondiale et, par là même, la plus immortelle : l’enfance heureuse et insouciante en Géorgie, à Tara, la plantation familiale, avec pour cadre le temps éphémère et surréaliste de la "vie du Sud" qui nous ouvre les portes du microcosme des producteurs de coton, esclavagistes et "gentlemen" ; puis, le premier mariage de Scarlett qui coïncide avec la déclaration de la guerre civile qui opposera les Etats du Sud aux Etats du Nord pendant quatre longues années, de 1861 à 1865 ; enfin, la partie la plus marquante et en même temps la plus fascinante, la guerre vécue à l’état brut, mois après mois, depuis Atlanta, la ville nouvelle du nord de la Géorgie qui concentre les voies, les réserves et les hôpitaux.
Le génie de Margaret Mitchell réside dans sa capacité à faire de ce grand récit de guerre une aventure follement romanesque, dans l’acceptation noble du terme. Autour de Scarlett, personnage étonnamment fort, violent, contradictoire et attachant malgré son égoïsme viscéral, évoluent d’autres protagonistes aux tempéraments bien trempés et qui nourrissent le roman d’une humanité palpable. Je pense qu’il est d’ailleurs impossible d’aimer ou de détester les personnages du roman tant les circonstances qu’ils traversent et leur héritage social justifient leurs actes et expliquent leurs choix. Malgré le contexte de guerre, le manichéisme est totalement absent du roman et les contradictions des personnages nous renvoient à nos propres contradictions à travers le temps et l’espace.
Les 700 pages de ce premier tome ont été dévorées d’une traite, comme le seront sans doute les pages des deux suivants. L’adaptation cinématographique de Victor Fleming (en 1939, soit trois ans seulement après la parution du roman de Margaret Mitchell), en tout point remarquable et qui fut saluée par 10 oscars, fait partie de mes films préférés depuis l’enfance. Visionné des dizaines de fois, il m’avait semblé si complet que je n’avais jamais pris la peine d’ouvrir le livre, n’imaginant pas une seconde pouvoir ressentir davantage d’émotions qu’au spectacle du jeu sensationnel de Vivien Leigh et de Clark Gable. Grave erreur de jugement. Le roman offre une densité, une force et une richesse qu’aucun réalisateur, aussi doué soit-il, ne pourra jamais retranscrire. Le génie de Margaret Mitchell est scellé au fil des pages de sa grande œuvre.
Tome 2
Scarlett O'Hara ne pouvait pas imaginer, en se rendant au fameux pique-nique chez les Wilkes, aux Douze-Chênes, par ce radieux après-midi, alors que sa seule préoccupation était de s'emparer du cœur d'Ashley, que tous les hommes de sa vie seraient alors réunis sous le même toit. Heureusement, Margaret Mitchell y a pensé pour elle ! Là où tout commencera, seront en effet réunis à la fois ses trois futurs maris mais aussi l'homme inaccessible auquel Scarlett avait décidé d’offrir sa vie et sur l’amour duquel elle avait misé tous ses rêves et toutes ses illusions.
Des rêves et des illusions certes juvéniles mais auxquels son tempérament irlandais n’admettant pas l’échec lui interdisait catégoriquement de renoncer, malgré le mariage du jeune homme, malgré la guerre, malgré son propre mariage et les enfants issus de leurs unions respectives. Ah, le tempérament de Scarlett O’Hara ! Celui-là même qui la pousse à des actes scandaleux aux yeux des Sudistes mais que des Yankees pourraient facilement revendiquer comme leurs. Car, il y a du Yankee en Scarlett O’Hara. Son audace, sa détermination, sa combativité, son courage et son manque de compassion seront ses meilleures armes dans la lutte qu’elle a engagée avec l’existence. La guerre terminée fait place à la Reconstruction qui, à bien des niveaux, s’avère plus cruelle que le conflit armé. Tara, le domaine familial, est en danger et onze personnes affamées doivent trouver de quoi se nourrir chaque jour quand rien ne subsiste après le passage des armées et des profiteurs de guerre.
Toujours aussi épique, toujours aussi romanesque et enlevé, toujours aussi brillamment écrit, ce second tome tient toutes ses promesses et nous révèle une Scarlett qui n’a plus rien en commun avec la jeune femme de seize ans qui se rendait au pique-nique des Wilkes avec pour seules pensées l’amour et la satisfaction de ses désirs. Une femme est née de la guerre, plus âpre, plus dure, plus despotique que jamais. Une femme que le lecteur voudrait haïr et qu’il aime à la folie.
Le roman de Margaret Mitchell offre bien plus de perspectives que le film de Victor Fleming, par la quantité de développements et de détails que le réalisateur a laissés de côté pour densifier la dimension dramatique de son scénario mais c’est un plaisir immense pour moi de découvrir davantage de profondeur dans les rapports entre Scarlett et Ashley, entre Scarlett et Franck Kennedy, son second mari, et surtout, entre Scarlett et l’inénarrable Rhett Butler.
Tome 3
Je serai brève, si, je le serai.
Pour la simple et bonne raison que les mots me manquent pour décrire la profusion et la diversité des émotions qui se bousculent en moi à l'heure de refermer le dernier tome de ce monument littéraire.
Je laisserai d'ailleurs la parole à Scarlett qui, un peu tard - est-il jamais trop tard ? - découvre que sa vie n'a été qu'une vaste fumisterie, une mascarade endiablée où elle a cru danser de bonne foi au bal de la vie. Ce ne fut que le bal des illusions. "Quelle insensée j'ai été ! se dit-elle avec amertume"...
Cette chronique est décousue mais peu importe.
Margaret Mitchell fait partie de ces rares auteurs peu prolifiques pour lesquels on se sent partagé entre le regret de ce qu'ils aient écrit si peu et la reconnaissance de ce qu'ils n'aient pas écrit davantage, de peur de ne pas retrouver dans leurs autres œuvres l'éclat, le génie et la virtuosité de leur oeuvre maîtresse.
Il y a un peu de Scarlett O'Hara dans toutes les femmes, depuis la nuit des temps, et aussi dans beaucoup d'hommes.
Malgré un dénouement poignant, l'espoir n'est pas éteint. Après tout, Scarlett n'a que vingt-huit ans et demain, le soleil luira encore.