Du sexe, un meurtre, une journaliste qui mène l’enquête, un grand méchant qui tire les ficelles dans l’ombre… il ne s’agit pas de littérature de gare mais d’Aux cinq rues, Lima, le dernier roman du prix Nobel de littérature péruvien. Sous les caresses d’un roman érotique, et au rythme d’un polar effréné, Mario Vargas LLosa nous plonge dans le Lima des années 1990, quand la capitale du Pérou vivait sous le joug du Président Alberto Fujimori et des attentats terroristes du Sentier Lumineux et du MRTA.
Comme à l’habitude de l’auteur, la narration est polyphonique ; les récits et les points de vue alternent puis se rejoignent crescendo dans une grande virtuosité. Mais plus que l’intrigue elle-même, c’est comme souvent, la galerie des personnages qui fait le sel du roman. Un couple de pitucos, cette grande-bourgeoisie péruvienne bien sous tous rapports, avec maison à Miami, tableaux de maître dans le salon et enfants au collège Roosevelt : l’un est avocat, l’autre industriel ; leurs femmes bien sûr sont au foyer ; malgré leur crainte des attentats et des enlèvements, ils mènent la belle vie et leurs secrets sont bien gardés… ou presque. Un patron de presse, Rolando Garro et ses acolytes la téméraire Riquiqui et le photographe sans relief Ceferino font tourner un journal à scandale comme on les connait au Pérou et ailleurs, bon marché, sensationnaliste et sans scrupule… ou presque. Dans un appartement miteux, Juan Peineta, un vieux récitant de poésie, se rappelle pathétiquement sa gloire passée et s’épuise en invectives inutiles contre la bêtise triomphante. Dans l’ombre, Vladimiro Montesinos alias le Docteur rôde: c’est le chef de services secrets péruviens, derrière les pires crimes d’Alberto Fujimori ; ils s’enfuiront d’ailleurs quelques années plus tard à l’étranger avec des centaines de millions de dollars dans les poches.
Tous ces personnages, quelles que soient leurs classes sociales, sont présentés avec acidité mais non sans tendresse. Derrière chacun, se trouve Vargas Llosa, qui revisite à travers eux sa propre histoire. Cette grande et respectable bourgeoisie péruvienne dont il est devenu un des plus éminents représentants. Cette presse, grande, libre, mesquine ou aux ordres, qui fut son premier métier et qui le traqua durant sa liaison avec Isabel Preysler. Son amour insensé pour la littérature qui fait de lui le gardien du temple des Arts avec un grand A ou de ce qu’il en reste. Son goût contrarié pour la politique, déjoué par le machiavélisme de Fujimori et Montesinos, déjà raconté dans ses mémoires Le Poisson dans l’eau. Et derrière tous ces personnages, les passions bien sûr, des plus nobles aux plus sordides, qui dans ce quartier liménien de Cinco Esquinas, leur font rejouer pour nous, l’éternelle comédie humaine.