Fürstenfelde est un village de l’ancienne Allemagne de l’Est, dans la région de l’Uckermark, située au Nord-Est de l’Allemagne. Région la moins peuplée d’Allemagne, oubliée de l’économie, sa beauté âpre et sauvage de lacs, d’îles et de forêt s’apprivoise lentement. Il a fallu 4 ans Saša Stanišić, un jeune auteur de langue allemande né en 1978 en Bosnie, pour brosser dans son second roman ce tableau aussi délicat que drôle d’un endroit hors du temps.
A Fürstenfelde, nous sommes la veille de la saint Anna, jour de la fête du village lors de laquelle est brûlée « Anna » - il en est ainsi depuis le 16e siècle. En attendant que le bûcher ne s’allume, des hordes de cerfs et de sangliers qu’une renarde affamée font bruisser la nuit.
Pour son roman, fait d’une succession de courts chapitres, Saša Stanišić utilise la première personne du pluriel. « Nous sommes tristes. Nous n’avons plus de passeur. Le passeur est mort », ainsi débute le livre. Qui parle, on ne le sait pas réellement mais nous voilà embarqués doucement. Nous traversons la dernière nuit avant la fête ensemble, partis à la rencontre de ces personnages en errance dans leur propre vie, tous un peu perdus, assommés par la tristesse, l’ennui ou le regret.
Il y a Herr Schramm, ancien de la NVA, qui hésite dans sa voiture entre le suicide et l’achat d’un paquet de cigarettes. Il y a Frau Anna Kranz, une peintre hors d’âge qui ne peint que ce qu’elle sait, et dont le chef d’œuvre s’intitule « Le Roumain devant le préfa pour ouvriers saisonniers roumains, au bord de la départementale, près de Kraatz ». Frau Schwermuth est l’archiviste de Fürstenfelde, elle entretient la « Maison de la Patrie », dépositaire des chroniques villageoises dont les extraits émaillent le roman. Herr Ditzsche elève des poules de rasse, Lada, Johann et Suzi constituent une maigrelette bande de jeunes. Et tout le monde se retrouve dans le garage de Ulli pour boire un coup, loin du café officiel, le Gleis 1 (« Tu te vois picoler sous les yeux des fleurs en plastique et des cyclo-touristes ? »).
Les destins se télescopent, la magie opère parfois… Avant la fête est un livre d’histoires (avec un s), ponctué de fables et de faits divers tirés de l’histoire locale. Un livre qui parle de guerre, de pillages, de renards et de poules, de folie et de sagesse, d’amour et d’espoir.
Saša Stanišić réveille un lieu à la vie en décrivant sa beauté, ses tragédies, sa force et son abandon. Dédié à l’homme, à l’animal et à la nature, le livre est servi par un style impeccable, dépouillé et précis et par un humour empreint de finesse et de respect. Un petit bijou…

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le 13 oct. 2015

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