Quand le lecteur arrive à l'épilogue de ce roman, il apprend avec stupeur que ce récit est vrai, que Saravouth existe bien, Guillaume Sire l'a rencontré en 2004 il vivait dans les rues de Montréal en jouant de la guitare. Aujourd'hui il est à New York, il joue aux échecs dans un square.


Ce roman est donc l'histoire de Saravouth un petit Cambodgien de onze ans. Saravouth pioche des mots, des personnages, des décors dans chaque leçon apprise à l'école, dans chaque histoire que sa mère lui raconte. Il compose ainsi un Royaume Intérieur, différent de l'Empire Extérieur où vivent ses parents, Dara sa petite soeur et les autres êtres humains. Un royaume construit à l'intérieur de sa tête, seule sa soeur comprend ce monde où elle se rend de temps en temps. On y trouve une banane-girafe, des trompettes à groseilles, des radiateurs à mitaines, la forêt des ventouses, des arbres à brumes.


Ce roman est aussi l'histoire d'une terrible guerre civile. Norodom Sihanouk, un prince excessif, mégalomane, mais pacifiste a fui à paris avec une maîtresse. Il est destitué par le général Lon Nol soutenu par les Américains et proclame la république. Mais le général est fou à lier, il ne prend aucune décision sans avoir auparavant consulté les diseuses de bonne aventure, obligeant ses soldats à porter des colliers de foetus humains séchés, censés les préserver des balles. Les vieilles rancunes se sont transformées en guerres nouvelles. Régulièrement des escouades de républicains exécutent des hommes, des femmes et des enfants sous prétexte qu'ils ont soutenu le prince. La plupart des Européens ainsi que les Cambodgiens les plus riches sont partis.


Ce roman est l'histoire d'une ville, Phnom Penh. Les réfugiés affluent, la ville passe de six cent mille à près de deux millions d'habitants, la ville entière est devenue un camp de réfugiés. Les gens fuient les combats et les règlements de comptes. Il n'y a pas si longtemps la ville avançait vers la modernité, maintenant c'est à nouveau une cité moyenâgeuse qui chlingue la bouse de vache et le pus.


Ce roman raconte aussi la quête sans fin de Saravouth pour retrouver ses parents et sa soeur. Il a suffi d'une dénonciation malveillante et voilà toute la famille arrêtée. Saravouth n'a pas senti la balle qui lui a percuté la tête. Iaï, une sorcière obsédée, l'a trouvé étouffant dans son sang, entouré de rats, elle le recueille dans sa case et le soigne pendant des semaines. le jeune cambodgien va parcourir des kilomètres et des kilomètres pour retourner à Phnom Penh. Il se réfugie dans un orphelinat. Aidé par Vanak un orphelin, Saravouth n'a qu'une idée en tête retrouver ses parents et sa soeur. Il parcourt inlassablement les rues de Phnom Penh à la recherche d'un visage connu.


Ce roman raconte aussi l'horreur, les corps découpés, les charniers, les viols les tortures, les pillages Plus d'eau courante, ni de téléphone ni d'électricité, les F 11 américains qui larguent leurs bombes. La débrouille pour gagner quelques sous en cirant les chaussures des soldats américains qui dépensent leur solde dans des maisons où les attendent « les épouses de Dieu »
Le Royaume Intérieur de Saravouth existe toujours, mais il n'y a plus rien. On dirait la surface de la lune, sans les étoiles.


Ce récit poignant d'un petit garçon qui essaye de survivre dans un pays en plein chaos sans jamais perdre l'espoir de retrouver ses parents ne peut qu'émouvoir. Les premières pages où Guillaume Sire nous raconte ce Royaume Intérieur construit par Saravouth, nourri par toutes ses découvertes littéraires sont sublimes. Ce roman nous raconte le pouvoir de l'imaginaire face à l'horreur. de cette guerre aux images insoutenables émerge le portrait inoubliable de Saravouth. Tout simplement magnifique !


« Les mots, leur dit-elle, sont des hameçons envoyés par les poètes pour creuser des sillons sous le soleil, la mer, les cimes de l'Himalaya, les jardins multicolores, les horloges mécaniques. Les mots dansent partout, ils travaillent. Ils organisent des batailles. La vie, les étoiles, la peau, le silence, ce sont des mots. Ce sont des hameçons. Il suffit d'écouter. »

feursy
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le 28 juil. 2020

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Yves MONTMARTIN

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