Avant que j'oublie
7.4
Avant que j'oublie

livre de Anne Pauly (2019)

S'agit-il d'un roman ou d'un récit ? Le mot "roman" figure bien sous le titre mais il ne m'a pas semblé approprié. L'héroïne, Anne, évoque la période qui suit le décès de son père, Jean-Pierre Pauly, un unijambiste original, violent avec sa femme et pourtant adepte des philosophies orientales. Qui a vécu pareils moments retrouvera la succession des étapes incontournables : l'adieu à l'hôpital, les relations avec les pompes funèbres, la préparation de la messe, l'après-cérémonie, puis la maison qu'il faut vider, source de pincements au coeur. On ajoutera un autre classique, les relations tendues avec son frère aîné, fâché avec ce père et qui n'a donc qu'une envie : ne plus entendre parler de lui.

Une singularité : l'héroïne comme la romancière est lesbienne. Elle évoque donc sa "fiancée", Félicie, régulièrement. Comme beaucoup de romancières homosexuelles, Anne Pauly ne résiste pas à la tentation de l'engagement pour sa cause. L'action se situant justement au moment du vote de la loi sur le mariage pour tous, Anne Pauly fustige les réacs qui s'y sont opposés. Bien entendu, si l'on a des réserves sur cette loi c'est qu'on est homophobe, de même qu'aujourd'hui ceux qui critiquent Israël sont des antisémites. On n’attendra guère de nuance de ce côté-là. De la même façon, un type qui, page 133, s'impatiente à la station-service est forcément un "gros con" puisqu'il est au volant d'un 4x4. Je ne me plaindrai pas en revanche du sort fait à la bande FM contemporaine quelques lignes plus loin. Lorsque la narratrice est émue par une chanson de Céline Dion, elle précise : "Je n'étais pas une grande fan mais ça valait mieux que les litanies autotunées qu'on entendait partout (...)". On ne peut qu'approuver si l'on est un minimum mélomane.

L'ensemble n'est pas franchement mal écrit, mais de là à emporter le Prix du Livre Inter et à être sélectionné pour le Goncourt et le Médicis ? Je peine un peu à comprendre.

Le monologue intérieur de la narratrice durant les différentes étapes de l'après-décès m'a semblé assez banal, de même que l'inventaire à la Prévert des livres, photos et objets qu'il faut trier dans la maison. Même si parfois une réflexion tombe juste. Page 102 : "et puis se séparer bêtement de choses utiles qui parfois avaient représenté pour eux des mois d'économie". C'est en effet ce qui est terrible lorsque l'on s'attelle à la lourde tâche de vider la maison de parents ayant vécu dans la consommation à outrance, d'autant plus lorsqu'ils ne voulaient rien jeter : plein de choses sont en bon état, pourraient être utiles mais n'intéressent plus personne aujourd'hui. Pas d'autre choix que de jeter car "le premier Emmaüs venu" n'est pas toujours preneur... Tâche très ingrate qui incite à cesser immédiatement d'accumuler soi-même, dès lors qu'on a atteint un certain âge, pour ne pas léguer ça à ses enfants - si l'on en a.

On trouvera donc çà et là quelques pépites, mais l'ensemble n'est tout de même pas exceptionnel. L'autrice verse même dans la vulgarité lorsqu'elle utilise la détestable expression "en vrai", que tout écrivain qui se respecte devrait bannir, au même titre que tous les tics de langage ("en fait", "du coup", "genre", etc.). Celui-là est quand même particulièrement inepte. Page 72 :

Mais, en vrai, nous n'étions qu'une bande de pieds nickelés en manteaux Kiabi (...).

Page 125 :

Je me traînais donc, sur un sol vacillant, du lit au métro, du métro au bureau et du bureau au canapé en essayant de faire bonne figure dans des habits propres et repassés mais en vrai, j'étais à poil et je crevais de solitude.

Liste non exhaustive.

Et puis, surprise, à la toute fin du récit, Anne Pauly nous donne à lire quelque chose d'un peu plus relevé : cette histoire de pie apprivoisée par son frère, vue comme la réincarnation du père disparu. Page 137 :

Pendant tout le repas, on a regardé l'oiseau, discuté de l'oiseau, de son sauvetage, de son audace, de ses belles couleurs. La joie était revenue sur le visage de tous et c'était si inattendu que j'en étais toute émue.

Peut-être le seul épisode imaginé par l'écrivaine, qui justifierait l'appellation "roman" ?... Dans sa globalité, ce texte donne davantage l'impression d'un journal intime que d'une oeuvre pouvant prétendre à l'universel. Avis personnel, non partagé comme j'ai pu le voir sur SC. Ce Avant que j'oublie reste toutefois supérieur au calamiteux Il ne doit plus jamais rien m'arriver de Mathieu Persan, consacré, lui, à sa mère. Transformer un journal intime en roman requiert un talent que je n'ai trouvé ni chez l'une ni chez l'autre.

Jduvi
6
Écrit par

Créée

le 18 juil. 2024

Critique lue 6 fois

Jduvi

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