Je préfère le film
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le 7 juil. 2024
Ma lecture de A Room with a View fut quelque peu discontinue. Je laissais de côté le roman d'Edward Morgan Forster un peu avant la moitié, n'étant pas motivé à suivre les tribulations de Lucy, jeune ingénue parcourant l'Italie pour qu'on lui apprenne la vie. La plume était pourtant vive dans sa narration, le récit se voulait dynamique dans ses enchaînements. Les personnages baignaient dans une ambiance relevée, où les conventions édouardiennes étaient explicitement soulignées pour qu'on ne remarque que mieux leur absurdité. Pour autant, le roman ne voulait pas offensant. C'est même presque comme si l'on ressentait une certaine tendresse de l'auteur face à la rigidité guindée de certains rapports humains.
Mais, allez savoir, cela ne me suffisait pas. Je n'étais pas accroché, j'avais l'impression d'avoir déjà lu ou vu cette histoire ailleurs. Du coup j'ai préféré le mettre en pause plutôt que de le lire à contrecoeur.
Je repris ma lecture quelques semaines plus tard. Lucy était désormais rentrée en Angleterre, après quelques confusions amoureuses dans la campagne italienne. Son mariage avec un intellectuel distingué se prépare, mais quelque chose semble clocher. Le roman se resserre autour d'une galerie de personnages qui petit à petit se métamorphosent devant mes yeux. L'étonnante interaction entre ces derniers, que la distance (d'âge, de valeurs ou d'opinions) n'arrange pas, produit de savoureux moments où toute la singularité de chacun trouve enfin à s'exprimer.
Car c'est une rare qualité que Forster possède, et qui n'est pas immédiatement visible. Je parle ici du fait d'accepter de laisser ses personnages vagabonder dans le tourbillon de la vie : avancer, reculer, hésiter, mentir. Tous se débattent à leur manière avec la question du désir, et l'histoire gagne dans sa seconde partie une atmosphère unique et particulièrement appréciable. Là où je pensais avoir à faire à un roman "typique de son époque" m'est alors apparu une oeuvre très en avance sur son temps et véritablement inclassable : un pied dans le XIXème siècle, lorsque les conventions sociales nous ligotent, et un pied dans le XXème, quand leur étau se desserre et que la triste vérité advient : ce n'est pas en se libérant des conventions que l'on se libère du poids de notre désir.
"Lavant le corps de ses souillures, ôtant leurs aiguillons aux outrages du monde, il lui avait découvert la sainteté d'un désir direct".
A Room with a View m'apparut donc comme un roman débordant d'intelligence, ne serait-ce que sur la question de la condition féminine. Mais c'est également un roman qui cache bien son jeu. Les mots que l'on exprime n'ont jamais su bien décrire ce qui nous faisait mouvoir.
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Créée
le 30 mars 2019
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