Il est assez difficile de juger ce bouquin, puisque c'est un vrai carnet de voyage (si j'ai bien compris) d'un aventurier de 23 ans mort en Guyane alors qu'il tentait de rejoindre les montagnes au sud du département. Donc forcément, ce n'est pas de la grande littérature, parfois on a des phrases averbales, des phrases sans sujet, tout dépend de sa motivation et de ses forces pour écrire. Je ne considère pas ça comme un mal, du moins dans ce cas, car si ce n'était pas le cas, on aurait senti le récit de voyage totalement romancé, ici ça transpire la fatigue, la faim et la dysenterie.
Je me suis pas mal identifié à ce type, qui déplore la médiocrité ordinaire tout en sachant qu'il la possède en lui comme tous les autres. Ce type à qui tout le monde dit d'abandonner, ce type à qui tout le monde met des bâtons dans les roues... Maufrais (c'est son nom) démotivé, mais qui se force à continuer, à se lancer dans cette expédition, malgré les problèmes d'argent, qui est obligé de choisir ce qu'il va bien pouvoir porter afin de survivre au mieux dans ce milieu hostile.
On a donc ses compte-rendus de chasse, maigres, l'état de son estomac, de ses fièvres... c'est vraiment désespérant et il est évident, même si c'est marqué dès la quatrième de couverture, qu'il ne va pas pouvoir s'en sortir.
Puis, quelques pages avant la fin on a : "Oh ! Guyane ! terre méconnue... Ce n'est pas toi, ni l'effort qui tue l'Européen ; c'est lui qui se suicide et, comme il lui faut un prétexte, il te choisit comme bouc émissaire." la fin approche. Et le pire dans tout ça, c'est que ça ne me démotive même pas, que dirait Freud ? Pulsion de mort sans doute. Parce qu'après tout le bouquin s'ouvre sur une description de la collection à laquelle il paraît avec une citation de Pindare : "N'aspire pas à l'existence éternelle, mais épuise le champ des possibles".
C'est peut-être ça la morale, pousser son corps dans les derniers retranchements, souffrir, pour, peut-être, dire "je l'ai fait", pour le plaisir intérieur de l'avoir fait, pour s'être fixé un défi pour lequel tout le monde misait contre toi et réussir... peut-être... avec de la chance.
Par contre, il faut quand même avoir le cœur bien accroché, parce que ce n'est pas joyeux du tout comme livre. Il faut lire trois cents pages de désespoir, de famine, de pauvreté, jusqu'à le voir tuer son chien pour le manger avant de le vomir car il est trop faible pour le digérer. Une façon humble de se sentir plus bas que tout face à la nature, face à la Guyane, face à la jungle.