Avoir un corps. Et prendre conscience de son poids, au fil du temps qui passe. S'en étonner, le considérer comme un fardeau, en avoir honte, se réconcilier, enfin, avec lui. Quarante ans de la vie d'une enfant, d'une fille, d'une adolescente, d'une femme, d'une mère. Pendant féminin du Journal d'un corps de Daniel Pennac, Avoir un corps de Brigitte Giraud donne l'impression de feuilleter un journal intime. Mais sans voyeurisme aucun, le style de l'auteure, riche en verbes d'action, s'il ne bride pas l'émotion, la contient et lui donne au fil des pages une densité qui doit beaucoup à une extrême lucidité et acuité des sentiments. Car tout est là, dans ce difficile compromis à trouver entre la tête et le corps, un travail de chaque jour sans cesse remis en question par les événements et accidents de la vie. Avoir un corps est comme un film en accéléré dont les séquences s'enchaînent sans relâche. La linéarité est dans un premier temps gênante d'autant que Brigitte Giraud se garde bien de s'arrêter trop longuement sur des moments clés de l'adolescence. Ce sont les corps des autres, leur délabrement ou leur absence définitive, qui donnent au texte une plus grande densité. A partir de sa deuxième partie, il est impossible de lâcher le récit. Il a enfin pris corps et nous parle directement, que l'on soit lecteur ou lectrice. De ce qui n'aurait pu être qu'un exercice de style avec ses douleurs et ses épiphanies attendues (des premières règles à l'enfantement), Brigitte Giraud réussit à faire un roman qui se lit d'une traite.