"Sombre carte postale (tiré de La place sauvage/Det vilda torget - 1983)
Il arrive au milieu de la vie que la mort vienne prendre nos mesures. Cette visite
s'oublie et la vie continue. Mais le costume se coud à notre insu"
Tranströmer est un poète Suédois de renommée mondiale, (prix Nobel de littérature en 2011 pour ce que ça vaut) un peu moins connu en France, davantage au UK ou au Japon. La force de sa poésie réside dans les images qu'il peint plus que dans les sonorités de la langue, il ne pose donc aucun problème de lire ce livre en Français. Les poèmes sont généralement écrits en prose.
Poète des temps modernes, Tranströmer a beaucoup voyagé et est capable à travers ses poèmes de faire ressortir des images qui semblent très familières, de trouver de la poésie dans la mise en perspective de choses très modernes (un échangeur d'autoroute, un wagon de métro) vers d'autres temps historiques, parfois au delà de l'humanité elle-même. J'ai eu un ressenti similaire en vivant en Suède, pays moderne et civilisé au milieu d'une nature rugueuse et presque magique parfois, rappel permanent de temps plus anciens ou les hommes se mettaient sur la gueule pour violer les femmes des autres.
Inspirée du surréalisme, sa poésie n'est jamais absurde ni prétentieuse, parfois juste un peu incompréhensible (particulièrement sur les dernières œuvres post-1989 vraiment très vaporeuses et éthérées dans un style un peu japonisant et clairement plus hermétique). Il cherche toujours à trouver la poésie à travers des grands écarts de sens dans ses images (des comparaisons de machines à des insectes par exemple). Le rêve est également très présent, tout comme la notion de langage. J'ai eu l'impression qu'il n'essaye pas tant de trouver les mots exacts pour décrire quelque chose mais plutôt pour mettre en évidence tout ce que le langage ne peut pas expliquer dans le monde, tout ces vides qui nous entourent et dont pourtant nous avons tous une notion. C'est dans ce mystère ineffable qui laisse un sentiment pénétrant, que se trouve tout l'intérêt de ses poèmes.
Je recommande vivement la lecture de ces poèmes, (en plus ça change un peu des romans et des essais) je vous en laisse 3 de ceux qui m'ont le plus marqués ci-dessous et je vous embrasse très fort.
Le voyage (tiré de Ciel à moitié achevé - 1962)
Dans la station de métro.
Le coude à coude entre les affiches
dans une lumière morte au regard égaré.
Le train arriva pour emmener
les visages et les porte-documents.
À la prochaine, l’obscurité. Nous étions assis
comme des statues dans ces voitures
qui dérapaient dans les cavernes.
Contraintes, rêveries, servitudes.
On vendait les nouvelles de la nuit
aux arrêts situés sous le niveau de la mer.
Les gens étaient en mouvement, chagrins et
taciturnes sous le cadran des horloges.
Le train transportait
les pardessus et les âmes.
Dans tous les sens, des regards
lors du voyage dans la montagne.
Et nul changement en vue.
Près de la surface pourtant, les bourdons
de la liberté s’étaient mis à vrombir.
Nous sortîmes de terre.
Une seule fois, le pays battit
des ailes avant de s’immobiliser
à nos pieds, vaste et verdoyant.
Les épis de blé arrivaient en vol
au-dessus des quais.
Terminus! J’étais allé
bien au-delà.
Combien étions-nous encore? Quatre,
cinq, à peine plus.
Et les maisons, les routes, les nuages,
les criques bleues et les montagnes
ouvrirent leurs fenêtres.
Zone limitrophe (tiré de Visions nocturnes - 1970)
Des hommes en combinaison couleur de terre surgissent d’un fossé.
C’est une zone de passage, un point mort, ni ville ni campagne.
Les grues des chantiers à l’horizon veulent faire le grand bond mais les horloges ne suivent pas.
Des tuyaux de ciment éparpillés lapent la lumière de leurs langues sèches.
Des ateliers de carrosserie installés dans d’anciennes étables.
Les pierres jettent une ombre tranchante comme des objets à la surface de la lune.
Et ces endroits ne cessent de s’étendre.
Comme ce qu’on acheta avec l’argent de Judas : « Le champ du potier comme sépulture des étrangers. »
A des amis au-delà d'une frontière (tiré de Sentiers - 1973)
I
Je vous ai écrit une lettre si sèche. Mais ce que je n'ai pu écrire
s'est gonflé et gonflé comme autrefois les dirigeables pour finalement partir dans le ciel de la nuit.
II
Ma lettre est maintenant chez le censeur. Il allume sa lampe.
Dans son éclat, mes mots s'envolent comme des singes sur une grille,
ils la secouent, se figent et montrent les dents !
III
Lisez entre les lignes. Nous nous verrons dans deux cents ans,
lorsque les microphones seront oubliés dans les murs de l'hôtel
et qu'ils pourront enfin dormir, devenir trilobites.