Ce que Stephen King a cherché à faire dans ses romans et ses nouvelles depuis le début de sa carrière d'écrivain à succès, c'est de dépoussiérer et de moderniser les motifs de la littérature gothique ou d'horreur classique en les inscrivant au cœur de l'Amérique contemporaine.
Carrie est une histoire de sorcellerie dans laquelle les pouvoirs télékinétiques remplacent les sombres pactes (en y mêlant les angoisses adolescentes).
Salem recycle le thème du vampire et constitue une réécriture du Dracula de Bram Stoker.
Shining reprend les grands thèmes de la maison hantée et des pouvoirs psychiques.
Dead Zone modernise le mythe de Cassandre et du voyant.
Christine, c'est la figure classique de l'objet maudit en plus pêchu et en plus cool incarné par une Plymouth Fury 57.
Ça est une sorte de croquemitaine mélangé avec un fond Lovecraftien.
La Part des ténèbres est une histoire de double maléfique à la Jekyll et Hyde.
Bazaar quant à lui reprend le pacte faustien.
Pourtant, contrairement à Faust qui fait un pacte avec le Diable pour voir tous ses vœux exhaussés, les habitants du petit village de Castle Rock font ce pacte pour des simples babioles qui s’avéreront à la fin, lorsque les gens décideront enfin de les voir pour ce qu'elles sont, être de la camelote. Un pacte faustien à la hauteur de la mentalité des gens qui le signent du point de vue de King: minable!
Castle Rock comme tous les petits bleds fictifs dans lesquels se déroulent les histoires de King, que ce soit Derry, Little Tall Island, Desperation, Chester Mill, ou Jerusalem's Lot, se veut une représentation de l'Amérique profonde et de ses démons; le microcosme du petit village renvoyant au macrocosme du pays entier, voire même au monde.
Si Stephen King décide que la figure méphistophélique s'incarnera dans un vendeur qui vient ouvrir une nouvelle boutique dans la petite ville, c'est bien pour parler de la malédiction consumériste qui consume l'Amérique, et sans doute le reste du monde, en faisant tourner toute son histoire autour du vieil adage qui dit que ce que nous possédons finit par nous posséder: l'obsession des personnages ayant acheté quelque chose au Bazar des rêves et la manière dont ils en redoutent sans cesse le vol en est l'illustration directe.
King fait donc déferler sur Castle Rock une véritable apocalypse déclenchée par ce besoin de posséder de la part de cet échantillon d'humanité ce qui n'est au final que des objets sans intérêt sur lesquels chacun projette ses fantasmes.
Si cette destruction généralisée se répand comme une traînée de poudre, c'est bien parce que les habitants de Castle Rock ont préféré les objets aux personnes qui les entourent et ont oublié le sens de la communauté, de l'entraide,...
Le roman prend le temps (beaucoup de temps!) à s'installer, et comme souvent, King démontre un certain talent pour définir ses personnages, creuser leur psychologie et leur donner un coté réel, humain, ancré dans la réalité. C'est cette impression de réel qui contrastera d'autant plus avec l'apparition du fantastique et lui donnera plus de force.
King comme souvent fait quelques clins d'œil à l'univers de Lovecraft, notamment avec cette scène se déroulant dans ce garage de Boston qui est très réussie.
La dernière partie du récit est remplie d'action non-stop dans laquelle l'ensemble des éléments installés se résolvent et que la poudrière que King a mis en place explose à la face des personnages comme des lecteurs.
On a l'impression que King s'emmêle un peu dans tous ces fils narratifs (telles de nombreuses mèches reliées à un unique tonneau de poudre) qu'il a ouvert et se doit de les clôturer parfois un peu hâtivement.
Peut-être a-t-il un peu trop introduit de personnages secondaires dans sa seconde partie plutôt que de se concentrer sur ses personnages principaux également.
Toujours est-il que le feu d'artifice barbare mis en place par Leland Gaunt en jouant de la mesquinerie et de la cupidité des habitants de Castle Rock tiendra ses promesses.
Les habitants de Castle Rock participeront donc à ces grandes soldes où tout doit disparaître comme le dit le vieux slogan, et dont l'objet principal est leur âme et leur humanité.
Bazaar est donc un livre très sombre sur une civilisation qui a oublié son humanité pour la remplacer par un monde où les personnes ne se définissent plus qu'à travers leurs possessions et les fantasmes qui leur sont associés.