Beauté fatale
7.9
Beauté fatale

livre de Mona Chollet (2012)

Lors de discussions avec ma grand-mère, il nous est arrivé plusieurs fois de parler du voile. La vision d'une femme voilée la heurte profondément, et je suis très agacée qu'elle camoufle chaque fois une authentique xénophobie derrière des arguments soit disant féministes. Ce féminisme dont elle se revendique, c'est celui de la deuxième vague, qui naît dans les années 60, la génération du MLF. Le droit de disposer de son corps, l'avortement etc. Ça m'étonnerait franchement que ma grand-mère ait jamais songé à brûler son soutien-gorge, à remettre en cause l'ordre capitaliste, ni même ce bon vieux De Gaulle, mais toujours est-il qu'elle adore se positionner en révolutionnaire et en femme libérée face à ces "pauvres musulmanes qui font injure à des années voire des siècles de lutte féministe dans notre pays". Elle est très fière que l'on puisse se balader en mini-shorts et mini-jupes, tout ça sans avoir à se soumettre aux fantasmes d'exclusivité de nos maris.
C'est au cours de l'une de ces discussions qu'il m'est apparu clairement qu'il existait d'autres formes d'oppression. Je me suis demandée si je pouvais opposer à ma grand-mère que, finalement, quand je vois ma petite cousine de 8 ans porter des brassières et s'inquiéter de son décolleté, des petites de 10 ans s'épiler des cuisses aux orteils, je commence à trouver bien d'autres définitions et exemples du mot "oppression". Celui d' "aliénation", qu'a choisi Mona Chollet, est particulièrement mieux adapté à cette situation occidentale.


Toutes ces idées qui n'étaient chez moi qu'embryonnaires et maladroitement formulées, l'auteure m'a aidée à les renforcer, les enrichir, les développer. Plusieurs semblent lui reprocher la banalité des thèmes abordés et de ses critiques. Mais c'est justement dans cette apparente simplicité que réside selon moi sa force.


En effet, elle-même assume et explique sa démarche : elle comble en fait brillamment "l'absence d'une tradition française d'étude de la culture de masse, considérée comme un objet scientifique indigne, anodin ou vulgaire - ou les deux." Elle analyse la presse féminine, la publicité, le cinéma, les séries, pour ce qu'ils sont : une arme puissante. Elle dévoile la face extrêmement sinistre de l'article de presse féminine le plus prosaïque qui soit. Et nous soulage réellement, en nous démontrant que NON, tout ça n'est pas NORMAL. Aucune femme n'est insensible à toutes ces images, tous ces modèles, et tous ces modes impératifs, mais ce livre a un effet véritablement libérateur. C'est un exemple parfait d'écriture performative : on lit, et on se sent d'abord comprise, puis soulagée, et enfin, libérée. On trouve la force de ne plus avoir envie de correspondre à d'inatteignables idéaux féminins.


Á noter que c'est très agréable aussi de ne pas tomber sur des références à Bourdieu ou à Foucault toutes les trois lignes. La qualité de son analyse de la culture de masse vient aussi de cette façon qu'elle a de croiser des sources et des exemples d'une diversité et d'une originalité remarquables.


C'est un texte non seulement intelligent mais aussi incarné, qui repose sur un vécu de femme. Elle pose des mots particulièrement justes sur des expériences que nous avons toutes déjà faites. Ses critiques sont acerbes et assumées, on sent une authentique colère. Cette colère et ce dynamisme (le rythme, les chapitres courts et efficaces, les commentaires subjectifs, les petites piques et autres punchlines bien senties) m'ont particulièrement enthousiasmée.
Si je lui attribue une note aussi élevée, c'est bien parce que ce livre m'a bouleversée, émotionnellement, et m'a changée, comme peu de livres de fiction y sont parvenus.

Mambomiammiam
10
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le 15 août 2019

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