Un battement de cils. C'est le temps qu'il aura fallu pour qu'il soit conquis par la seule humaine encore existante en ce monde.
Lui, le puissant que tout le monde respecte, envie, adule, dans cet instant où tout bascule, parce que plus rien ne pourra plus être comme avant, il ouvrit la porte de l'éternité.
Déguisé en vieux juif édenté et laid - par ce que l'amour vaut bien mieux que deux grammes d'osselets minéralisées - il lui fît la plus belle déclaration d'amour qu'un homme puisse faire à une femme.
Mais la fille du gentil n'en n'a que faire de ce Don Juan de pacotille, d'ailleurs il n'a qu'à raconter ça à une vieille sorcière difforme et affreuse pour voir.
Ignoble crapule!
Alors, malgré sa haine du gorille, le sous-bouffon général de la SDN la séduit par les plus vils stratagèmes de la conquête amoureuse.
Et ce fût une Pentecôte d'amour. Elle, servante, lui, roi mystère, tous les deux officiant à la divine liturgie de la passion, témoins du sacré révélé.
"Dites, c'est Dieu, n'est-ce pas?" demanda la belle à son seigneur.
Et lorsqu'à Berlin la naine Rachel l'intronisa sauveur des juifs, ce fût le début de la Passion.
Sa couronne prestigieuse n'est plus qu'un cornet de carton-pâte et son chart victorieux une vieille calèche désossée. La fête du Pourim se transforma en carnaval pathétique.
Clown errant, il devint un bouffon de l'amour.
Et la célébration joyeuse devint une longue marche funèbre.
Reclus, ignorant les odeurs et les délices du monde, ils ne se nourrirent que de leur amour.
Et quand l'autel sacré ne fût plus qu'une scène de théâtre grotesque et absurde, la démence les sauva.
De la porte entrouverte s'engouffra alors un vent froid et noir, et sur la joue du seigneur coula une larme pour tous ses frères qu'il n'avait pu sauver.